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Méli-Melo Belfort
14 mai 2023

L'ambulancière alsacienne, garde-malades des soldats blessés français après le siège de Belfort de 1870-1871.

    Joseph Berger, dont je vous ai parlé dans Souvenirs du siège de Belfort - Joseph Berger : Le camp de Petit-Croix. a écrit un article concernant la guerre de 1870-1871, mais qui ne concerne pas ses souvenirs du siège de Belfort. Celui-ci est paru dans la revue du Lyonnais de 1897, et à également eu droit à un tiré-à-part. Voici le contenu de cet article :

L'Ambulancière Alsacienne

Extrait de la Revue du Lyonnais Septembre 1897

    La guerre était finie. Le général de Treskow, commandant les troupes allemandes concentrées autour de Belfort, et le colonel Denfert-Rochereau, commandant supérieur de la place de Belfort, venaient de recevoir la dépêche suivante :

« 13 février 1871.
                                        Bourogne-de-Versailles, 11 heures du matin.

         « Le commandant de Belfort est autorisé, vu les circonstances, à la reddition de la place. La garnison sortira avec les honneurs de la guerre et emportera les archives de la place ; elle ralliera le poste français le plus voisin.

                                                           « Pour le Ministre des Affaires Étrangères,

              « BISMARCK.                                 ERNEST PICARD. »

 

    Le feu avait cessé de part et d'autre. Après le perpétuel sifflement des obus dans le ciel, la chute des bombes crevant les toitures et les blindages les plus épais, leurs explosions incendiant les maisons et ébranlant les casernes, leurs éclats tuant soldats, femmes et enfants, le calme morne, triste, froid était venu. Le silence à la suite du grandiose fracas de soixante-treize jours de bombardement, paraissait étrange ; on semblait renaître à une existence nouvelle.
    Belfort ne capitulait pas ; mais, ensuite de circonstances motivées par de hautes considérations politiques, la place, restée invaincue après cent trois jours de siège, allait être remise entre les mains de l'ennemi qui n'avait pas pu la prendre. Les vainqueurs devaient, par ordre de la France, abandonner le champ de bataille aux vaincus !
    Le 17 février, les premières colonnes de ce qui restait des troupes de l'héroïque garnison se mirent en marche ; l'une d'elle formée de deux bataillons des Mobiles du Rhône.
    La veille, un grand débat avait eu lieu entre les soldats d'une compagnie de ces Mobiles. Campée en dehors des murs de la ville, cette compagnie avait gardé ses blessés et ses malades dans son campement. Les soldats valides, quoique harassés de fatigue à la suite des nombreuses gardes qu'ils étaient obligés de monter, se relayaient pour soigner eux-mêmes leurs camarades étendus sur leur couche de souffrance, préférant les garder au milieu d'eux que de les laisser transporter dans les hôpitaux ou les ambulances de la ville, d'où, disait-on, l'on ne revenait plus, la fièvre typhoïde ou la petite vérole se chargeant d'emporter ceux qui parvenaient à être guéris de leurs blessures.  
    Mais ce débat, dont l'objet consistait à décider si l'on ne devait pas emporter au milieu des rangs, sur des voitures ou des brancards, leurs camarades incapables de marcher, avait été bientôt tranché. Ordre avait été donné par la place de transporter aux ambulances de la ville de Belfort tous les blessés et les malades dont l'état de santé ne permettait pas de suivre la colonne à pied. Il avait fallu s'incliner et, les larmes aux yeux, les Mobiles lyonnais s'étaient séparés de leurs amis, non cependant sans s'être assurés qu'ils ne manqueraient de rien, dans la mesure du possible toutefois.  Plusieurs, malgré la disette d'argent, avaient voulu partager avec les malades les quelques sous que la longueur du siège leur avait laissés en poche ; tous voulurent donner quelque chose aux camarades dont on les séparait : on en vit un s'excuser de n'avoir rien à donner, depuis de longs jours étant sans argent lui-même et forcer l'un des blessés d'accepter son capuchon, le seul objet un peu convenable qui lui restait ; les hommes d'une escouade allèrent jusqu'à se cotiser pour acheter, nous ne savons vraiment où, une vieille médaille militaire qu'ils vinrent épingler aux rideaux d'ambulance de leur caporal, un mobile du Rhône, qui, lors de l'un des nombreux combats où s'illustrèrent ces jeunes héros, s'était conduit en brave et avait été porté par Denfert sur la liste des défenseurs de Belfort à proposer au Gouvernement pour la décoration. C'était touchant, et, de la part de ces enfants qui venaient de tenir tête aux vieilles troupes aguerries de l'Allemagne, ce sacrifice de leur petit avoir pour le camarade délaissé, cet oubli de leur propre détresse pour ne songer qu'au pauvre blessé, étaient non seulement dignes d'admiration, mais encore sublimes.
    Le 18 février 1871, à midi, la dernière colonne des troupes de la garnison de Belfort, commandée par le colonel Denfert, quittait la ville, et, quelques heures après, les soldats allemands entraient par les portes de Brisach et de France et prenaient possession de notre dernière place forte alsacienne.
Les malades et les blessés, restés dans les ambulances après l'évacuation de la place, eurent à subir fatalement le contre-coup du départ des troupes françaises. L'une de ces ambulances, celle établie dans la caserne de l'Espérance, où les malades et les blessés du premier bataillon du 16e de marche des Mobiles du Rhône avaient été transportés, fut complètement abandonnée, non seulement de sa direction, mais également de tout son personnel. Du jour de l'évacuation de la place par la garnison française jusqu'à celui de leur départ, les malades de cette ambulance ne reçurent la visite d'aucun docteur et ne virent aucun infirmier. Ils se soignèrent entre eux, les moins malades faisant la tisane pour tous, et quelle tisane ! tout simplement une infusion de plante de centaurée mélangée avec des morceaux de bois de réglisse, découverts dans le fond d'un placard !
    Composée en partie de malades ayant la petite vérole, cette ambulance ne reçut même pas la visite des Allemands ; ces derniers n'osaient en franchir la porte par crainte de la contagion ; mais, par contre, quelques-uns d'entre eux, se disant Polonais, apportaient aux malades des poignées de cigares et des bouteilles d'eau-de-vie qu'ils déposaient à l'entrée de la salle en criant : « Bour les gamarades. »
    Une seule personne eut la charité de franchir le seuil de cette ambulance, ce fut une femme, une brave Alsacienne, qui avait appris l'abandon dans lequel se trouvaient les pauvres malades.
La Société des Femmes de France n'existait pas encore, mais le cœur de la femme française existait depuis … toujours ; sa charité, sa noblesse d'âme, le devoir poussé jusqu'au sacrifice ont toujours été là où la douleur, la souffrance, la misère viennent abattre le courage de l'homme et le rendre faible comme un petit enfant.
L’Alsacienne, qui venait visiter les Mobiles de Lyon sur leur couche de douleur, réunissait à la bonté native la beauté d'une de ces jolies madones idéales que l'on retrouve dans les vieux missels ; sa figure un peu pâle, éclairée par deux yeux d'un bleu mystique, comme un reflet radieux du ciel, était nimbée d'une chevelure d'or clair se perdant dans des gris très fins, semblant une fumée d'encens. Elle ne paraissait pas fortunée ; aucun bijou ne relevait la couleur sombre de la modeste robe dont elle était revêtue et elle s’excusait humblement auprès des malades de ne leur apporter qu'un peu de lait, quelques œufs frais, quelques brins de verdure, des fleurs des champs ; mais combien les pauvres Mobiles lui étaient reconnaissants de ses visites, des soins qu'elle leur prodiguait avec tant de bonté ; dans leur abandon, ils la considéraient comme une mère, une sœur aînée ; elle savait si bien donner à ces braves cœurs l'illusion de la famille absente !
    Jusqu'au jour, où ils purent se glisser dans les rangs d'un détachement de convalescents qui se dirigeait sur Lyon, les malades de l'ambulance de l'Espérance reçurent la visite quotidienne de leur chère Alsacienne et plusieurs d'entre eux, qu'elle avait su consoler par ses paroles d'encouragement et d'espoir, dont elle avait pansé les blessures de ses blanches mains si délicatement douces et adroites, durent leur prompte guérison à son dévouement et à son ingénieuse charité. Elle n'avait que quelques mots de consolation à leur offrir, la chère infirmière ; mais du moins, ses bonnes paroles allaient au cœur, comme un parfum du foyer maternel, comme le sourire, le baiser de la mère qui attendait là-bas, vers Lyon, le retour de son fils, de son enfant tendrement aimé.
    Qui pouvait bien être la douce Alsacienne ? Était-elle célibataire, épouse ou veuve ? Plus d'une fois ces questions étaient montées aux lèvres des malades ; mais aucun d'eux n'osa les formuler devant leur infirmière ; non seulement l'humble respect dont ils l'entouraient les empêchait de lui poser une question qui aurait pu être indiscrète, mais encore, ils, avaient trop peur, eux qui pendant les horreurs sanglantes d'un siège meurtrier n'avaient jamais tremblé, devoir fuir et disparaître, devant leur curiosité, la gracieuse apparition qui, pendant quelques instants chaque jour, venait leur donner la sensation de la fraîcheur d'un ciel printanier et mettre un peu d'ordre dans leur lugubre chambre d'ambulance.
    Les enfants de Lyon quittèrent Belfort sans avoir percé le mystère dont semblait s'entourer leur charmante garde-malade ; ils avaient constaté cependant qu'elle ne devait pas être libre de ses moments, car souvent ils la virent arriver près d'eux émue et essoufflée, comme une personne qui a beaucoup couru, glisser entre les lits et faire le travail, dont elle avait charitablement entrepris la tâche, avec une hâte fébrile et repartir ainsi qu'une personne dont le temps est compté. Deux ou trois fois même, ils crurent apercevoir des suites de larmes autour des myosotis de ses yeux ; mais ils ne virent jamais, sur son gracieux visage, que le doux sourire qui accompagnait son bonjour amical, et le regard de tendre compassion et de joyeux espoir qu'elle jetait à ses malades en leur disant au revoir.
    L'un des anciens Mobiles cependant, étant retourné à Belfort un an après la fin du siège, en 1872, voulut, avec un de ses parents qui l'avait accompagné, rechercher la charitable ambulancière pour lui apporter l'expression de sa reconnaissance, celle de ses anciens camarades et de leurs familles ; mais les recherches des deux Lyonnais furent vaines. Deux personnes toutefois, répondant au signalement donné, leur firent un moment espérer qu'ils étaient sur le point de retrouver celle qu'ils auraient été si heureux de revoir ; l'une était une jeune veuve qui avait habité le faubourg des Ancêtres et l'autre une Belfortaine qui venait de se marier depuis peu et était allée, avec son mari, habiter du côté de Petit-Croix ; mais, là encore, les recherches ne donnèrent aucun résultat, l'occupation allemande mettant alors un obstacle insurmontable à toutes investigations.
L'ambulancière alsacienne des Mobiles du Rhône est restée l'inconnue des rêves va poreux de la vingtième année, l'ombre fugitive de l'idéale modestie heureuse d'être ignorée de ses protégés, la fée bienfaisante et radieuse qui apparaît au jour de malheur et de détresse et s'évanouit lorsque, de sa main diaphane et divine, elle a fait fuir le mal et disparaître la souffrance.
    Les anciens Mobiles ont gardé religieusement le souvenir de leur bonne ambulancière, la charitable et volontaire garde-malade, exquise personnification de la bonté, de la grâce et du sourire du doux pays d'Alsace, qui après les horreurs du siège, dans l'oubli de la patrie vaincue, des pouvoirs désorganisés, dans leur isolement enfin, leur apporta des fleurs après la poussière des décombres, le printemps après l'hiver, la vie après la mort.

            Que l'on ne s'étonne donc plus de voir les enfants de notre bien aimée Alsace, réfractaires à la domination étrangère. Ils sont les fils de ces chères âmes qui prodiguaient leurs soins à nos blessés en 1870-71, leurs consolations à ceux qui mouraient pour la patrie, leurs prières à Dieu pour les martyrs, chefs et soldats, qui ont sauvé l'honneur du drapeau ; ils sont les enfants de ces femmes de France, femmes de cœur, héroïques, douces et belles, gardiennes vigilantes dans l'intérieur du foyer alsacien, resté français, de l'amour de la mère-patrie et de l'espérance immuable dans l'avenir.

Ambulanciere
Exemple de tenue que pouvait porter les ambulancières durant la guerre de 1870-1871.

   Il était déjà difficile en 1872 de retrouver cette ambulancière charitable avec si peu d'indices, il paraît presque illusoire de le faire de nos jours. Il serait pourtant fort appréciable de pouvoir rendre hommage à cette femme qui a eu, seule, le courage de venir en aide aux soldats blessés restés à Belfort. Cela en la sortant de son long anonymat de 151 ans. N'aurait-elle pas d'une quelconque manière laissés des traces de son activité d'ambulancière qui pourraient être retrouvés dans les archives belfortaines ? A condition, bien sur, que ce qu'a écrit Joseph Berger, ne soit pas une simple oeuvre littéraire de fiction.
    Si quelqu'un a une idée sur les recherches pouvant être faites, merci de nous le faire savoir.

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