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Méli-Melo Belfort
29 novembre 2023

Souvenirs du siège de Belfort - Joseph Berger : Danjoutin.

    8e volet des souvenirs de Joseph Berger, avec une évocation de la bataille de Danjoutin du 7 et 8 janvier 1871. Extrait de la Tribune des combattants de 1870-71 du 1er mai 1907.

DANJOUTIN

    Oh ! qu'elle fut lugubre et terrible cette nuit du 7 au 8 janvier 1871 !
    Pendant toute la journée du 7, la canonnade ennemie avait été d'une violence inaccoutumée ; les projectiles avaient fait rage surtout sur le fort de Bellevue et le village de Danjoutin
    Une nouvelle batterie, placée dans le bois de Bosmont, démasquée dès le matin, avait couvert les postes placés en avant de Danjoutin d'une avalanche d'obus allemands et rendu inhabitables les maisons de ce village. Le bombardement était si intense que l'on conta, à certains moments de la journée, jusqu'à six coups de canons ennemis par minute.

Danjoutin
Danjoutin - Le Bosmont - Les casernes. AD du Territoire de Belfort.

    Depuis la prise d'Andelnans, Danjoutin était devenu l'un des points les plus attaqués par les allemands, ceux-ci, embusqués dans les bois situés à trois cents mètres à peine du village, ne décessaient de tirer sur les sentinelles françaises que les exigences de la défense faisaient poster en dehors des habitations. Depuis le commencement du bombardement de ce village, c'est-à-dire depuis trois semaines environ, toutes les maisons avaient été atteintes par les bombes et les obus, un grand nombre avaient été incendiées La petite garnison, composée d'environ 800 hommes du deuxième bataillon des Mobiles de Saône-et Loire, était exténuée ; l'ennemi ne lui laissait ni repos ni trêve ; chaque jour amenait son combat. Les braves mobiles vivaient dans un perpétuel état de qui-vive. Vainement M. Gély, leur commandant, qui se rendait compte de la grande lassitude de sa petite troupe, avait demandé à être relevé, même pour trois ou quatre jours seulement, pour permettre à ses jeunes soldats de prendre un léger repos ; il n'avait rien pu obtenir ; le refus était basé sur ce que la garnison de Belfort n'était pas assez nombreuse pour permettre, même une seule journée de repos, à l'une de ses sections.
    L'état-major de la place était d'ailleurs loin de se douter de l'imminence de l'attaque de Danjoutin ; il s'attendait bien à ce que ce village fut pris un jour ou l'autre par l'assiégeant, et le commandant Gély avait reçu, dans cette prévision, des instructions lui intimant l'ordre, au cas d'une attaque trop vigoureuse, jugée par lui sans résistance possible, de se retirer avec ses hommes sur la ville, pas à pas et en faisant le plus de mal qu'il pourrait à l'ennemi ; mais il avait été loin de prévoir l'enlèvement de Danjoutin par les allemands, ainsi que de sa petite garnison, par surprise.
    Dans le faubourg des Forges, à peine étions-nous, dans cette nuit du 7 janvier, étendus sur nos couches de paille, dans les granges et les étables qui nous servaient de logements, que nos officiers, sans en avoir reçu l'ordre de la Place, émus par le redoublement de la canonnade allemande et la fusillade incessante qui se faisait entendre du côté de Bellevue et de Danjoutin, nous firent lever et nous conduisirent, en arme, aux postes assignés à chacun de nous en cas d'attaque.
    La nuit était humide, le ciel couvert ne laissant percevoir aucun astre dans l'espace, seuls les éclairs des bouches à feu ennemies rayaient l'ombre sinistre ; des lueurs rougeâtres signalaient l'incendie d'habitations du côté où se trouvait le village de Danjoutin.
    L'arme au pied, dans l'attente fiévreuse d'une attaque que l'on croyait certaine mais inconnue, nous écoutions le crépitement de la fusillade, le grondement des pièces d'artillerie, nous demandant quelle poitrine française ou allemande transperçait le plomb meurtrier. Silencieux, nous sondions l'ombre épaisse, croyant à chaque instant voir ramper vers nos ouvrages de défense, quelques corps de soldats ennemis, pour nous surprendre et s'élancer sur nous.
    De tristes pensées nous assaillaient nous nous disions que là-bas, le sang coulait, le sang d'amis peut-être, d'enfants comme nous de Lyon, de frères d'armes certainement, de mobiles pouvant à peine se défendre avec de mauvais fusils à tabatière, accourus dans ce coin de terre alsacienne pour la disputer à l'envahisseur.

Fusil à tabatière modèle 1867
Fusil à tabatière modèle 1867.

    Nous maudissions la guerre, l'atroce guerre qui fait œuvre de haine, la guerre qui devrait disparaître à jamais, exécrée par tous et qui fait pleurer et sangloter les femmes : les mères, les sœurs et les fiancées.
    Mais nous songions aussi qu'il fallait vaincre l'allemand, le chasser de notre patrie ou mourir ; qu'au-dessus de la vie, au-dessus de tout, il y avait le pays, la France envahie, le drapeau à défendre, l'honneur à sauver !
    La nuit se passa ainsi. La fusillade cependant se fit moins vive vers deux heures après minuit ; mais elle se doubla d'intensité avec le grondement de l'artillerie sur les cinq heures du matin. C'était la fin du combat.
    Nous apprîmes plus tard que nos frères d'armes de Danjoutin, entourés de tous côtés par l'ennemi, isolés par surprise de Belfort, après cinq heures de combat acharné, harassés, ayant épuisé leurs munitions, avaient déposé leurs armes, s'étaient rendus, après s'être battus, comme d'habitude, un contre dix et que les troupes envoyées à leurs secours eussent été repoussées.
    Dès les premières lueurs du jour nous regagnâmes nos campements.
    N'ayant ce jour-là aucun service à faire, j'allais au bureau de la compagnie afin de trouver soit auprès du sergent-major, soit auprès du sergent-fourrier Vaytilac, un prétexte quelconque, course ou corvée, pour aller à Belfort, m'enquérir des événements de la nuit.
    J'avais également l'intention de me rendre à l’hôpital, pour y prendre des nouvelles d'un camarade qui y avait été transporté depuis peu, après avoir été blessé dans des conditions pas ordinaires, par des prussiens plutôt lâches qu'adroits. Voici le fait :
    Auparavant, je dois expliquer que depuis le commencement de l'année, soit par lassitude, soit par pitié les uns pour les autres, les soldats placés aux avant-postes français et allemands, ne se tiraient plus dessus ; une espèce d'armistice s'était établie entre eux ; quelques-uns même, plus hardis que d'autres, abandonnaient leur arme à leur poste, s'avançaient, chacun d'un même nombre de pas, dans l'espace qui les séparait, se serraient la main, échangeaient quelques paroles, notamment celles-ci, qui m'ont été assurées véridiques :
    — Laissons faire le temps et les canons, mais ne nous fusillons plus.
    — La griserie de la poudre dissipée, français et allemands oubliaient la haine des races, redevenaient humains et bons.
    Notre camarade, de grand' garde certain jour du commencement de janvier, s'aperçut, étant en faction, que la sentinelle ennemie postée en face de lui, faisait des signaux pour attirer son attention, abandonnait son fusil, puis s'avançant de son côté brandissait sa gourde et ébauchait le geste d'y boire à sa santé. Le mobile, sans défiance, s'avança lui-même vers Allemand, espérant, m'a-t-il avoué par la suite, puiser dans sa gourde, une bonne rasade d'eau-de-vie, mais avant qu'il eût rejoint celui-ci, deux coups de fusil partaient du côté du poste prussien et notre camarade recevait une balle dans la cuisse. Il put heureusement surmonter momentanément la douleur causée par sa blessure et regagner son poste, d'où on le transporta à l'hôpital.
    Ce fait arriva nécessairement aux oreilles de la Place et fit l'objet de la part du Colonel Denfert, d'un ordre du jour, menaçant de peines sévères toutes sentinelles de grand' garde qui répondraient aux démonstrations censées amicales des Allemands. La surveillance des postes devint plus étroite et on doubla pour la nuit le service de garde.
    Ainsi que je l’avais espéré, je pus aller à Belfort et dans cette ville, obtenir les renseignements que je désirais sur les évènements de la nuit passée. Ces évènements étaient déplorables.
    Ce fut Fraissenet, mobile de la première compagnie de mon bataillon, (canton de Limonest), qui me les narra avec force détail ; une balle allemande lui avait traversé l'épaule droite. Toujours de bonne humeur, il plaisantait sur sa blessure et me disait en me montrant son bras en écharpe : « J'étais, d'ailleurs, aux premières loges pour recevoir les pruneaux ; je ne pouvais donc moins faire que d'en attraper un ! »
    Aux premiers avis de l'attaque enveloppante de Danjoutin, Denfert avait fait sortir de Belfort, pour essayer de dégager le village, deux compagnies du premier bataillon du 16me de marche (mobiles du Rhône) sous les ordres du capitaine Gaubert. Ces deux compagnies devaient se joindre aux troupes campées au faubourg du Fourneau, bousculer l'ennemi et s’ouvrir un passage sur le poste en danger.

Belfort vue prise du moulin du Fourneau
Belfort vue du moulin du Fourneau. Extrait du journal l'Illustration du 6 janvier 1872.

    Le capitaine Degombert, bien au courant des chemins, avait pris dans l'obscurité, avec une vingtaine d'hommes en éclaireurs, la direction de la petite colonne. Il voulait d'abord gagner le remblai du chemin de fer, pour explorer les abords de Danjoutin ; mais l'ennemi était déjà maître du remblai ; il accueillit la reconnaissance avec une fusillade des plus vives, plusieurs mobiles tombèrent et à leur tête le brave capitaine Degombert, mortellement frappé de plusieurs balles. Le capitaine Gaubert, sous l'ouragan des projectiles ennemis, releva lui-même son camarade, mais ne put que le confier aux infirmiers qui le transportèrent à Belfort où il mourut le lendemain.
    Reconnaissant ainsi l'impossibilité de forcer le remblai du chemin de fer le capitaine Gaubert conduisit ses compagnies du Fourneau entre les deux forts des Perches, espérant de là en descendant la pente, attaquer les Allemands sur le chemin de fer, vers le passage à niveau et tourner ainsi le remblai puissamment occupé par l'ennemi.
    Déployés en tirailleurs les Mobiles du Rhône s'apprêtaient à descendre des Perches ; mais les Allemands les avaient prévenus. Soudain, à l'instant où nos camarades s'élançaient en avant, une effroyable décharge retentit, les balles d'une mitrailleuse sifflèrent dans un épouvantable fracas. Les mobiles hésitèrent un instant, puis repartirent en criant : Il n'y a qu'une mitrailleuse ! Enlevons-là !
   
Bravo, mes enfants ! Vive la France ! s'écria le brave capitaine Gaubert.
    — Vive la France ! clamèrent à plein gosiers les jeunes lyonnais.
    Ils s'avancèrent sur l'ennemi et allaient s'emparer de la pièce d'artillerie, lorsqu'ils furent arrêtés, décimés par la mitraille de huit pièces de canons, en batterie au bord du bois de Bosmont.
    L'artillerie des Perches essaya de répondre aux décharges allemandes ; mais elle avait tant souffert durant la journée précédente qu'elle ne put lutter avec assez de vigueur contre celle de Bosmont. D'autre part, une grosse colonne d'infanterie allemande accourait de Vézelois et se déployait devant la poignée d'hommes qui restait au capitaine Gaubert. Les Allemands répondaient par un feu d'enfer à nos modestes salves, la lutte devenait impossible.
    Le jour commençait à poindre. En face de forces ennemies si supérieures en nombre ; en l'absence de tous secours, même de ceux qui avaient été annoncés de Pérouse, voyant ses mobiles tomber sous l'ouragan de fer qui les fauchait et tout semblant du reste terminé du côté de Danjoutin, le capitaine Gaubert dû revenir sur Belfort.
    Le simple petit village de Danjoutin auquel les Allemands avait fait l'honneur d'un bombardement en règle avec leur batterie d'Andelnans, venait de tomber au pouvoir de l'ennemi, après plusieurs assauts et soixante-cinq jours de siège, privant la place de Belfort de deux officiers et 76 soldats tués ou blessés grièvement et de 711 officiers et mobiles faits prisonniers.
    Dès le lendemain, les Prussiens, possesseurs de cette position, restée si longtemps comme un coin enfoncé au milieu des leurs, commencèrent de nouvelles tranchées à la droite de Danjoutin et y transportaient les batteries de Bavilliers, destinées à éteindre les feux du Château et à préparer l'attaque de Pérouse et des Perches.
    Parmi les prisonniers faits par les Allemands à Danjoutin, je comptais un camarade, Josset, le fourrier d'ordre de Denfert, un parisien égaré dans nos rangs, celui que toute la garnison avait surnommé : tige. Ce sobriquet lui avait été donné parce que, à force de courir de Belfort à Pérouse, de Bellevue à la Miotte, de Danjoutin aux Forges ou des Perches aux Barres, il ne restait plus, quelques semaines après le commencement du siège, de ses magnifiques bottes à l'écuyère, dernier vestige de sa profession de comédien, que les tiges seules qui lui servaient de guêtres. Les Mobiles étaient jeunes toujours, ils riaient et plaisantaient de tout : devant la mort glorieuse, sous la pluie de balles ennemies comme dans la neige, entre les miaulements des éclats d'obus. J'ai su plus tard que Josset tombé l'un des premiers à Danjoutin, avait été considéré comme mortellement blessé ; emmené et guéri en captivité, il en revint mutilé pour le reste de ses jours.

JOSEPH BERGER.

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