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Méli-Melo Belfort
17 janvier 2024

La maison de Turenne au Valdoie, par Henri Bardy.

    Le 22 décembre 1887, Henri Bardy publie un article dans le journal le Ralliement, du jour. Il y parle d'une maison historique de Valdoie, depuis disparue.

La maison de Turenne au Valdoie

    Est-il temps encore d’appeler l'attention du public, et spécialement celle des amateurs de notre histoire locale, sur une petite construction d’humble et chétive apparence, mais qui n'en est pas moins, pour notre Territoire, un véritable « monument historique » ?
    Je veux parler d’une maison du Valdoie, située à gauche de la route des Vosges, quelques mètres après avoir dépassé l’église. Attenante à une maison incendiée depuis très-longtemps, et qui n’avait jamais été rebâtie, elle paraissait remonter, par son architecture, au commencement du XVIe siècle, et devait être, bien certainement, à cette époque, une des plus belles et des plus confortables du village. Elle était connue dans le pays sous le nom de maison de Turenne, parce que, d’après la tradition, elle avait abrité ce grand capitaine pendant la nuit du 27 au 28 décembre 1674, lors de sa marche fameuse que devait couronner la journée de Turckheim.

Turenne pénètre dans Turckheim par la Porte-Haute (1675)
Turenne pénètre dans Turckheim par la Porte-Haute (1675).

    Rappelons, en quelques lignes, cet épisode.
    Belfort avait alors pour gouverneur d’Aubigné, qui venait de recevoir du duc de Duras un renfort de deux régiments de cavalerie ; Le Câteux tenait, avec sa brigade, la campagne, surveillant la frontière et tenant libres les environs de la forteresse. Cependant les Impériaux s’apprêtaient à envahir la Franche-Comté, dont Belfort était, de ce côté, le seul boulevard : déjà leur armée s’avançait sous le commandement du duc Auguste de Holstein. Mais il était trop fard : la nouvelle de la prise de Remiremont et de l’approche de Turenne, qui était derrière les Vosges, les arrêta brusquement à la hauteur des deux villages d’Aspach (18 décembre). En effet, l’armée de Turenne arrivait à grand pas. Partie du camp de Longuet le 23 au matin, elle était à Melisey le 25, et prenait quartier le 26 à Champagney et à Ronchamp. Le 27, Turenne partit avec l’avant-garde et arriva l’après-midi au Valdoie, d’où il écrit aussitôt à Louvois.

Turenne au Valdoie A
Turenne au Valdoie 1674 - Dessiné par A. Baumann.

Il n’attendit pas que toute son infanterie fut arrivée là, pressé qu’il était de reconnaître l’ennemi. Le 28 décembre, il détacha le brigadier Saint-Aoust et Maurevert en éclaireurs, avec quelques escadrons, vers la plaine de Cernay, et lui-même marcha, avec 1000 hommes de la gendarmerie, les brigades de Lucinge, de Sourdis et de Câteux, par Bessoncourt, sur Fontaine, où il passa la nuit.

Fontaine (90) - Le tilleul de Turenne
Fontaine (90) - Tilleul sous lequel aurait reposé Turenne lors de son passage pour défendre l'Alsace en 1674. AD du Territoire de Belfort.

    Ajoutons, à cette occasion, que les environs de Belfort étant libres, Turenne n’éprouva nulle difficulté à passer sous cette place, et que c’est évidemment par erreur que l’historien Laguille dit que le duc de Holstein, occupé à battre Belfort par 24 canons, se hâta de décamper à son approche.
    L’aspect de l’antique petite maison du Valdoie semble bien confirmer la tradition populaire locale. Son genre gothique, ses murs décrépis et noircis au voisinage de la maison brûlée, son viel escalier en bois dont la misère se dissimule mal sous une tapisserie de lierre, lui donnent, vis-à-vis de ces événements déjà lointains, un air de contemporanéité qui s’accommode parfaitement avec l’esprit le plus sceptique. Que de fois jadis, en allant à Sermamagny, j’ai salué cette relique du passé, en évoquant, dans ma jeune imagination, les scènes militaires dont elle avait dû être le témoin, alors que Turenne, abrité sous son toit par une froide soirée d’hiver, écrivait à Louvois la lettre qui se trouve au Dépôt de la Guerre !
    Ne serait-il pas opportun, si toutefois la chose est possible encore, de faire photographier cette vénérable masure. C’est, à notre avis, un soin qui incombe au Groupe belfortain de la Section des Hautes-Vosges, qui devrait-être en même temps une petite société pour la conservation des monuments historiques du Territoire.
Nous savons que le groupe possède un amateur photographe, aussi habile artiste qu'intrépide alpiniste, qui n’hésitera pas, dans cette circonstance, à prononcer le solennel « ne bougeons plus ».

Valdoie (90) Maison de Turenne (Turenne coucha dans cette maison le 27 décembre 1674)
Valdoie (90) Maison de Turenne - Turenne coucha dans cette maison le 27 décembre 1674.

    En terminant, nous croyons devoir relever l’erreur, sans doute bien involontaire, de M. J. Liblin qui, dans ses Recherches historiques sur Belfort et son territoire (2e édit., pag. 277), place à Sermamagny la « Maison de Turenne ».

Henri Bardy.

    Difficile de situer cette maison de Turenne aujourd'hui disparue avec cette seule indication de Henri Bardy, peu précise : "Je veux parler d’une maison du Valdoie, située à gauche de la route des Vosges, quelques mètres après avoir dépassé l’église".
J'ai voulu m'aider de la carte postale suivante, présentant une vue de la maison sur la route des Vosges, en la comparant avec les maisons existantes actuellement, mais je n'ai rien pu identifier de probant.

Valdoie (90) Maison de Turenne avec vue sur la rue
Valdoie (90) - Maison de Turenne avec vue sur la rue

    Je me suis retourné vers le cadastre de Valdoie de 1827 disponible en ligne.

Cadastre Valdoie section C 1827
Extrait cadastre Valdoie, section C, 1827. AD du Territoire de Belfort.

    On y voit l'église, puis en remontant tout en haut de cet extrait, une habitation dont la forme ressemble beaucoup à la maison de Turenne apparaissant sur les cartes postales. Elle est située sur la parcelle numérotée 168.
Après avoir soumis mon hypothèse, concernant l'implantation de la maison de Turenne, à mon ami Jean-Marie du Carthophilion, qui lui-même a fait jouer son cercle d'amis, dont Bernard, il s'avère que j'avais sans doute raison. Puisse que l'on confirme que la maison se situait côté ouest de la rue de Turenne, au carrefour de l'Allée du Parc Boisé, à l'emplacement du 21, rue de Turenne. Ce qui correspond bien à la parcelle N°168 du cadastre ancien.

Vue satellite Valdoie
Vue satellite de Valdoie. En bas l'église, en haut et en rouge le "21 rue de Turenne". Google maps.

    Comme vous pouvez le voir, c'est loin de n'être qu'à quelques mètres de l'église, comme nous le dit Henri Bardy. Ce n'était peut-être qu'une façon de parler, mais cela n'aide pas pour la recherche de l'emplacement de la maison de Turenne, 137 ans après ce récit !

    Une brochure paroissiale racontant l'histoire de la construction de l'église de Valdoie, nous apprend que pour reconstruire la salle Jeanne d'Arc en 1909 on a utilisé des matériaux de la vieille cure, détruite par un incendie en 1905, et de la Maison de Turenne, notamment une fenêtre Renaissance et la niche de la statue de Jeanne d'Arc.
Vous pouvez voir l'ancienne cure sur l'extrait du cadastre plus haut, l'habitation est en bleue et est nommée maison curiale. Sur la capture Street View ci-dessous, vous pouvez voir, à droite la salle des fêtes, et à gauche la salle Jeanne d'Arc avec la fenêtre Renaissance et la niche de la statue de Jeanne d'Arc.

Valdoie salle Jeanne d'Arc + salle des fêtes
Valdoie (90) - Salle Jeanne d'Arc et salle des fêtes. Street View.

    En plus fort grossissement, la fenêtre Renaissance et la niche de la statue de Jeanne d'Arc.

Fenêtre Renaissance + niche statue Jeanne d'Arc
Valdoie- Salle jeanne d'Arc - Fenêtre Renaissance + niche statue Jeanne d'Arc. Street-View.

    Si des matériaux de la maison de Turenne ont servi à construire la salle Jeanne d'Arc en 1909, cela suppose que la maison de Turenne était en ruines à cette époque et qu'elle servait, comme souvent les vieilles habitations, de carrière de pierre. De nombreux vestiges de la maison doivent se trouver dans les maisons du secteur construites vers 1909. Reste à savoir en quelle année, elle a été définitivement rasée.

    On peut lire dans le Bulletin de la Société philomatique vosgienne de 1888 : "Il [Henri Bardy] offre également, au nom de son frère, le docteur Bardy, de Belfort, une photographie représentant une vue de la a maison de Turenne au Valdoie, faite par les soins du groupe belfortain de la section des Hautes-Vosges du C. A. F. Cette maison, d'humble et chétive apparence, parait remonter par son architecture au commencement du XVIe siècle, et devait être fort probablement, à cette époque, une des plus belles et des plus confortables du village. Elle était autrefois connue, dans le pays, sous le nom de maison de Turenne, parce que, d'après la tradition, elle avait abrité ce grand capitaine pendant la nuit du 27 au 28 Décembre 1674, lors de sa marche fameuse que devait couronner la journée de Turckheim. Elle constitue donc, pour le territoire de Belfort, un véritable monument historique. L'aspect de cet antique construction semble bien confirmer la tradition populaire locale. Son genre gothique, ses murs décrépis et noircis au voisinage d'une maison contiguë incendiée depuis longtemps, son vieil escalier dont la misère se dissimule mal sous une tapisserie de lierre, lui donnent, vis-à-vis de cet évènement déjà lointain, un air de contemporanéité qui s'accommode parfaitement avec l'esprit le plus sceptique. Le groupe belfortain du Club alpin a donc fort bien fait de sauver de l'oubli, par la reproduction photographique, cette vénérable masure appelée à disparaître dans un avenir plus ou moins prochain."

    Le vœu d'Henri Bardy de voir photographier la maison de Turenne a donc été exaucé. Un exemplaire de cette photo a été donné à la Société philomatique vosgienne. Est-ce que la Société Belfortaine d'Emulation en a également reçu un ?

    Dans le Bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation de 1900, Henri Bardy publie une "Étude historique de Belfort (1654-1684)". Dans un passage consacré à Turenne, il parle de la maison de Turenne, et fait ce commentaire dans une note de bas de la page 226 et 227 : "Dans le village du Valdoie, à gauche de la route des Vosges et à quelques mètres plus loin que l'église, se trouve une maison d'humble apparence, paraissant remonter, par son architecture, au milieu du XVIe siècle. Elle était connue, dans le pays, sous le nom de « Maison de Turenne », et la tradition populaire n'hésitait pas à affirmer que c'était parce que ce grand capitaine y avait logé pendant la nuit du 27 au 28 décembre 1674. L'aspect de cette vieille construction, le style gothique de ses fenêtres à croisillons et à
accolades, son escalier extérieur à balcon de bois, lui donnent, vis-à-vis de cet événement, un air de contemporanéité qui corroboré la tradition locale.
    Le groupe belfortain de la Section des Hautes-Vosges du C,-A.-F., comprenant tout l'intérêt qui s'attache à cette maison, qui est pour notre territoire un véritable « monument historique », a fait placer, en 1888, contre la façade donnant sur la route, une inscription commémorative du fait qui lui a valu le nom qu'elle porte. — V. La Maison de Turenne, par HENRI BARDY, dans le Bull. n° 1 (1888) de la Sect. des Hautes Vosges, p. 46, av. planche.
    M. Baumann, ancien professeur de dessin au lycée de Belfort, a fait un tableau représentant cet épisode . Par un temps de neige. Turenne, suivi d'un groupe d'officiers, arrive devant la maison qui va lui servir d'abri, et parlemente avec le maître du logis des paysans les considèrent curieusement, et un troupeau d'oies effrayées rappelle d'une manière heureuse et symbolique."

    Ainsi, dans le même temps qu'il prenait une photo de la maison, le groupe belfortain de la Section des Hautes-Vosges du C,-A.-F. a fait apposer sur la façade une inscription commémorative.
Si vous regardez plus haut la carte postale colorisée de la maison de Turenne, vous apercevrez sur la façade de la maison, à gauche et à la même hauteur que la fenêtre de style Renaissance, ce qui ressemble fort à une plaque. C'est sûrement sur cette plaque qu'est inscrit l'historique de la maison. Par contre, cela me semble bien haut pour être lu par les quidams de passage.
Apparemment, Henri Bardy a publié également en 1888, un article dans le Bulletin n° 1 de la Section des Hautes Vosges, sur la maison de Turenne, avec une planche. Est-ce que sur cette planche a été éditée la photo prise cette année là ? Impossible d'en savoir plus, ce bulletin n'est disponible, ni aux archives départementales du Territoire de Belfort, ni à la bibliothèque municipale de Belfort.

    On nous parle également d'un dessin fait par Baumann sur l'arrivée de Turenne à Valdoie.
J'ai au début de cet article inséré un carte postale de l'événement dessinée par Baumann, mais elle ne correspond pas tout à fait à la description d'Henri Bardy, puisque on n'y trouve aucun "troupeau d'oies effrayées". Cette description correspond plutôt à ce tableau qu'on retrouve publié dans l'article du journal l'Est Républicain du 14 janvier 2022, et intitulé "Sur la route de Turenne".

Un tableau d’Alphonse Baumann montrant Turenne à Valdoie en 1674
Un tableau d’Alphonse Baumann montrant Turenne à Valdoie en 1674. Journal l'Est Républicain du 14 janvier 2022.

    Baumann a t'il fait 2 versions différentes du même événement ? Le tableau, une aquarelle, est semble t'il conservée au musée d'histoire de Belfort. Il faudrait retrouver l'original ayant servi à l'édition de la carte postale.

   Dans le Bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation de 1935, on peut lire dans l'article "Souvenirs de la guerre 1870-71 à Valdoie" : "Aussi le Curé de Valdoie, dont la cure se trouvait à l'angle de la rue Jeanne d'Arc actuelle et de la route de Belfort à Giromagny, presque en face de l'Eglise, après être allé habiter une autre maison, celle dite Maison de Turenne, actuellement M. Ballay, 21, rue de Turenne, dut quitter celle-ci par suite d'un obus tombé dans sa nouvelle demeure, pour se réfugier dans un village moins dangereux."

    Cela confirme que c'est bien au 21 rue de Turenne que la maison se trouvait. Que la maison a été bombardée durant la guerre de 1870-1871, ce qui n'a pas dû l'aider à se pérenniser dans le temps.

  Si certains ont d'autres informations complémentaires sur la maison de Turenne, notamment sa date de destruction définitive, merci de nous en faire part, je ferai une mise à jour de l'article avec ces nouveaux renseignements.

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