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Méli-Melo Belfort
17 décembre 2023

Vauban et la fortification de Belfort, par Henri Bardy.

    Henri Bardy donne, dans le bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation de 1904, des informations complémentaires sur Vauban et la fortification de Belfort.
    Dans cet article, il fait référence à son Etude historique sur Belfort, paru en épisodes dans les bulletins de la Société Belfortaine d'Emulation. Une compilation a été publiée sous forme de tiré-à-part, portant le titre Histoire de la ville de Belfort depuis son origine jusqu'à la Révolution Française. D'après les catalogues en ligne, cet ouvrage n'est présent, ni à la bibliothèque de Belfort, ni aux archives du Territoire de Belfort. On trouve, tout-de-même, à la bibliothèque, les différents extraits des bulletins de la Société Belfortaine d'Emulation, mais ils ne sont pas disponibles au prêt. Les références aux pages de cet ouvrage sont donc caduques.
    Dans un futur article, je reparlerai de cet Etude historique sur Belfort par Henri Bardy.

VAUBAN ET LA FORTIFICATION DE BELFORT

    Dans mon Etude historique sur Belfort (1), j'ai parlé du Maréchal Vauban, d'après des documents tirés de la Bibliothèque de la Section technique du Génie, et énuméré les différentes visites faites par l'illustre ingénieur pour étudier la position stratégique de la place, en tracer les fortifications et se rendre compte sur le terrain de l'exécution des travaux.
    Voici, puisés aux mêmes sources, de nouveaux renseignements qui compléteront ceux que j'ai déjà donnés.
    Ce fut en 1675 que, faisant une tournée d'inspection sur la frontière du Rhin, Vauban passa pour la première fois par Belfort, dont l'importance stratégique le frappa. Il l'examina avec soin et, le 29 juin de cette année, adressa de Nancy au ministère un avis faisant connaître les améliorations ou transformations à faire subir à l'enceinte existante à cette époque. Elles se rapportent aux parties principales ci-après dénommées : le demi-bastion, le bastion du milieu, celui du château, le vieux corps du château et la tour des Bourgeois. Il y aurait à faire « une redoute ou petite demi-lune devant la grande courtine qui joint cette tour ». L'avis donne le détail des travaux et est complété par « un abrégé estimatif de ce à quoy pourront monter les dépenses des ouvrages contenus au présent projet ». Le total de la dépense s'élève à 100 102 livres. On voit dans l'état estimatif que « le prix ordinaire de la maçonnerie était de 24 livres la toise cube (2), dont l'extraction dans le roc valait 8 livres. C'était très bon marché.
    Vauban revint à Belfort au commencement de 1677 et à la fin de mai 1679. Ce fut alors qu'il fit transformer le corps de logis du château et décida la construction de l'ouvrage à cornes dit de la Miotte ou de l'Espérance.

    (1) Publiée dans Bull. de la Soc. belf. d'Emul. Nos 16, 17, 18, 19 et 20 ; tirée à part, elle forme un fort vol. gr. in-8° de 516 pages, sous le titre de Histoire de la ville de Belfort depuis son origine jusqu'à la Révolution Française. — La pagination indiquée au cours de cet article est celle du tirage à part.
    (2) La toise cube équivaut à environ 7me 500.

Vauban à Belfort en 1679
Vauban et Louvois visitant les fortifications à Belfort en 1679, par Tony-Robert Fleury (1880).

    J'ai parlé (p. 335 de mon Histoire) du projet que Vauban adressa au ministère à la date du 1er ou plutôt du 3 mars 1687.      
    L'envoi comprenait trois mémoires : le premier intitulé « Projet de fortification pour la ville de Béfort du 1er mars 1687 », et le deuxième « Bonnes et mauvaises qualités de Béfort si ce dessein avait lieu », c'est-à dire si les projets exposés dans le premier mémoire étaient exécutés. Quant au troisième, il consiste en un état estimatif de la dépense à engager.
    Dans la lettre d'envoi se trouve un exposé sommaire des dispositions représentées sur dix feuilles de dessin qui manquent au dossier. Vauban insiste tout particulièrement sur la nécessité de construire l'ouvrage à cornes « sur la basse croupe de la montagne de la Miotte ». « Il me paraît, dit-il, que c'est l'ouvrage de tous le plus pressé après le revestement de la place, parce que non seulement il tient plus de la moitié du circuit de la dite place en protection très assurée, mais parce que le travail sera long et difficile à cause de la grande profondeur qu'il faudra donner à ses fossés. » Au cas, ajoutait-il, où le Ministre aurait quelque répugnance à faire fournir tous les fonds qui vous sont demandés, faites seulement un à bon compte de deux cents mille livres en avance des principaux articles marqués à double croix sur l'état estimatif.
    Autre recommandation à propos du château : « Je vous prie, au nom de Dieu, de bien recommander la réparation de son puits et de sa citerne, car cela est plus considérable qu'on ne sçaurait penser. »
    La question de l'eau potable, si importante et sur laquelle Vauban appelait l'attention avec une si grande insistance, était donc déjà à l'ordre du jour comme elle l'est sans cesse actuellement.
    C'est dans le projet de fortification (1er mémoire) qu'est donnée la description de la ville et de ses abords dont j'ai parlé page 335 de mon Etude historique (tirage à part).
    Voici une observation à noter au sujet de la qualité des matériaux de construction : « La pierre est ici gelisse, (3) ainsi qu'il y paroit à la plupart des parements du chasteau et de la vieille enceinte. La chaux n'y vaut pas grand chose, la brique encore moins, et le bon sable y est assez rare. »
    La description de la ville et de ses abords immédiats est suivie, dans le 1er mémoire, d'une Instruction générale de sa fortification. Cette instruction est une étude détaillée de la fortification à établir, et du mode de construction à observer pour ses diverses parties ; en regard de chaque article se trouve inscrit le montant de la dépense correspondante.
    Il est intéressant de relever quelques prix unitaires:
    La toise cube de maçonnerie ordinaire n'est plus estimée qu'à 20 livres (au lieu de 24 1.).
    Le roc extrait ne coûte plus, la toise cube, que 7 liv. (au lieu de 8.).
    La toise cube de terre de remblai, bien battue, purgée de cailloux, avec talus réglés et fascinés, vaut 36 sols (les fascines de revêtement sont comptées à part.).
    La maçonnerie de pierre de taille posée en ciment vaut, la toise, cube, 60 livres.
    La toise carrée de pavage ordinaire vaut 40 sols ;
    La toise carrée de pavage en briques de champ (pour former l'aire des locaux), vaut 4 livres 10 sols.
    La toise de pavé en pierre de taille, 18 livres ;
    La solive (3 pieds cubes) de bois de charpente vaut 1 livre 8 sols (140 liv. le 100) ;
    La toise carrée de chape en ciment des voûtes, « de trois pouces d'espace, longtemps battu et à plusieurs reprises et bien reciré avec truelle faite exprès, » vaut 9 livres.
    La livre (poids) de gros fer pour grille et crampons vaut 2 sols 6 deniers.
    En résumé, et comme l'indique le 3e mémoire, la dépense prévue se montait à :
    pour la ville :                                         1.096.418 liv.
    pour le château :                                      149.245 liv. 10 sols.
                                                      Total : 1.245.663 liv. 10 sols.

    (3) ou gélive, c.-à-d. qu'elle se délite ou s'effrite par l'effet de la gelée. — Nous en avons vu assez souvent des exemples sur le revêtement du front de la Porte de France où, au commencement du printemps, des portions assez étendues s'écroulaient dans le fossé.

    Dans le montant de cette dépense, l'ouvrage à cornes était compté, avec ses dépendances, pour 163 383 livres. Aujourd'hui, le prix du même ouvrage serait au moins décuplé.
    L'exécution des différents travaux à entreprendre fait, dans ce mémoire, l'objet de recommandations détaillées, qui montrent jusqu'à quel point Vauban connaissait la partie technique de la science de l'ingénieur. On pourra en juger par l'extrait suivant relatif à la restauration d'une citerne du château, au sujet de laquelle Vauban appelle particulièrement l'attention dans sa lettre d'envoi au Ministre :
    « Accomoder la vieille citerne qui ne tient pas l'eau.
    « Défaire et refaire les vieux murs qui ne sont citerné que de terre grasse ; les rebâtir à chaux et sable de 15 pouces d'épais seulement, et quand l'enduit sera achevé et à demy-sec en dégraver les joints et les fouetter, et par dessus cela enduire de ciment composé de deux cinquièmes de très bonne chaux sur trois de poussière de tuille passée au fin tamis de boulanger, (4) l'une et l'autre bien desmélées, longtemps battues, et ensuite « appliqué par couches de demi d'espais chacune, et adoucies et bien repassées au dos de la truelle jusques à ce que l'enduit commence à durcir ; pour lors, le rayer fréquemment avec le tranchan de la truelle, les rayes à demy enfoncées dans le ciment ; en suite de quoy, refouëtter une autre couche, l'adoucir, repasser et esgaller comme la précédente, et ainsi de la 3e, 4e et 5e, qu'il ne faudra point cesser de repasser jusques à ce quelle soit totalement seiche, en sorte que l'enduit ne plie plus sous le doigt en le pressant et qu'il ne puisse plus gercer. »
    L'enduit étant poussé jusqu'à l'ouverture du puits, boucher la citerne, et la laisser seicher 3 ou 4 mois avant que d'y laisser entrer l'eau, dont il faudra après la laisser emplir deux ou trois fois, et toujours la vuider et bien laver afin de lui faire perdre le goût de ciment. »
    Viennent ensuite plusieurs observations : Remplacer le sceau et la chaîne par une pompe avec le manche, la verge et le tuyau de bon fer et assez gros ; fermer hermétiquement l'entrée du puits qui surmontait la citerne, afin qu'on ne puisse  faire tomber d'ordures dedans ;  établir une auge de grès sous le tuyau de la pompe avec 2 barres pour maintenir les sceaux et chaudrons ; paver la chambre de la pompe en dalles de grès posées sur ciment ; assurer l'écoulement des eaux à l'extérieur en détournant le caniveau ou ruisseau existant, « lequel ruisseau il serait bon aussi de cimenter, attendu le péril qu'il y a que les immondices et les mauvaises eaux ne trouvent à entrer dans la citerne ; faire un citerneau dans le voisinage de la citerne, de 15 à 16 pieds de profondeur sur 3 1/2 de large, mesurés dans œuvre. Ce citerneau devait constituer le filtre où aboutissaient les eaux des tuyaux des gouttières avant de passer dans la citerne. La citerne était donc alimentée avec les eaux de pluie provenant des chapes et des toitures. Le citerneau devait être construit avec les mêmes soins que la citerne, et également bien bouché. Tous les deux communiquaient par un conduit pour le passage des eaux qu'il faudra boucher par des plaques de plomb percées d'une quantité de petits trous à pouvoir passer de grosses têtes d'épingle, ou par une éponge bien choisie, nette, non sale ni pourrie ; après quoy, environner l'entrée de la communication de cailloux gros comme des œufs d'oye, dont les joints seront remplis par d'autres gros comme des noisettes, les uns et les autres bien arrangés et amoncelés à l'entour du trou jusques à ce qu'il en soit tout-à-fait caché et comblé tout à l'entour ; quoy fait, envelopper le tout de gros gravier d'un pied ou deux d'espais, et sur ce gravier remplir de sable de rivière lavé et bien net jusques à deux pieds de la margelle, qui sera fermée comme celle de la citerne, n'y laissant d'ouvertures que celles des tuyaux des « gouttières. »
    L'aménagement de la citerne devait entraîner une dépense de 1154 livres, dont 90 pour le passage et 50 pour l'auge en grès, et celui du citerneau de 460 livres. Les données manquent pour déterminer la contenance de cette citerne.
    Indépendamment de la restauration de l'ancienne citerne, on prévoit la construction d'une autre, mise à l'épreuve de la bombe, ayant 6 toises de profondeur et 4 de diamètre, non compris le puits la surmontant. Les mêmes précautions étaient prescrites, avec cette recommandation « d'avoir soin de bien ramasser toutes les eaux des toitures hautes et basses, devant et derrière et de n'en point laisser perdre, rien n'estant plus nécessaire que l'eau en ce lieu. »
    On voit, par ces nombreuses citations, combien la question des eaux d'alimentation préoccupait Vauban. Il les voulait aussi pures et, surtout, aussi abondantes que possible, dans la prévision que le grand puits pourrait peut-être un jour ne pas satisfaire à la consommation. C'est pourquoi il ne savait prendre trop de précautions pour en assurer la salubrité.
    C'est dans le 2e mémoire, intitulé « Bonnes et mauvaises qualités de Béfort, » que Vauban explique la nécessité de l'invention des tours bastionnées qui caractérisent la fortification de l'enceinte, par suite des conditions spéciales d'assiette de la fortification autour de la ville.

    J'ai dit (p. 337 de mon Histoire) que Vauban vint à Belfort au mois de Mars 1688, et (p. 338) qu'il s'y trouvait de nouveau en Septembre de la même année. Il y a, en effet, une note datée du 21 de ce mois, dans laquelle le célèbre ingénieur donne des « Instructions complémentaires pour permettre à M. Tarade, et en son absence, au Sr Chevalier de dresser les projets de l'année suivante, en s'appuyant tant sur les dites instructions que sur celles antérieures, auxquelles il n'aura pas été dérogé ».
    Une note du 28 Juin 1692, rédigée à Belfort et signée Chevalier, donne des détails sur la contenance et l'état des souterrains de la place et du château. Elle est accompagnée de deux dessins représentant un plan de la fortification et diverses coupes des locaux, voûtés ou non.
    Voici de plus amples renseignements sur les documents que j'ai cités à la page 359. On trouve dans les manuscrits de Vauban, à la Bibliothèque de la Section technique du Génie, une série de cahiers cousus ensemble où sont traités les sujets suivants :
    1° Estât présent de la fortification de Belfort du 24 Avril 1698 (8 pag. et 1 ligne sur la 9e).
    2° Immédiatement au dessous de cette ligne de la page 9, on lit ce titre : Instruction particulière des ouvrages qui restent à faire à la fortification de Belfort pour achever de la mettre dans la perfection requise par le projet de 1687 (de la p. 9 à la p. 84).
    3° Le Camp retranché (p. 84 à 86). — Au bas de cette dernière page, il y a la date « fait à Brisack le 13e may 1698 », et la signature : Vauban (4).
    Le premier mémoire (Etat présent...) est très sommaire.
    On y apprend que dans les casernes bâties il y a 176 chambres à chaque étage, de 18 pieds de large sur 22 de long chacune. On peut y mettre 2172 soldats. Ce mémoire se termine ainsi : " Nous dirons incessamment ce qu'il faudra faire pour l'achèvement entier de cette place. »
    Dans l'Instruction particulière, qui suit immédiatement, on trouve à nouveau l'exposé des travaux à entreprendre, avec l'estimation de la dépense.
    Voici l'article concernant le couvent des Capucins :
    « Le raser (5) et le transporter au pied de la hauteur où est la tuilerie, c'est-à-dire à 420 toises du chemin couvert ; il sera assez loin là pour ne pouvoir nuire à la place et assez près pour subvenir au besoin qu'on en pourrait avoir. On pourra avec le temps y faire un chemin relevé, pavé et garni d'arbres. Du surplus, ne pas souffrir de bâtiments au faubourg, ni qu'on en fasse de considérables près de la ville que sous condition d'être brûlés en cas de siège, et tous ceux des jardins razés et ravagés. »
    La dépense pour démolir le couvent des capucins et le rebâtir était évaluée à 15 000 livres.

Vestiges couvent des Capucins à Belfort, Par Rom3721
Vestiges du couvent des Capucins à Belfort, Par Rom3721. Wikipedia.

    On sait qu'en fin de compte, le couvent a été maintenu. Autre article concernant la ville : « Faire aussi deux ponts de pierre à deux arcades chacun pour la commodité publique et faire deux tournants aux moulins de M. le duc de la Meilleraye, avec des meules et meuniers de France, étant impossible que ceux d'à présent puissent fournir à la ville et à la garnison. »
    L'estimation de la dépense totale que comporte ce projet est de 1 248 794 livres. Dans cette somme l'achèvement d'ouvrages anciens ou déjà commencés est compté pour 159 323 livres.
    La construction des ouvrages qui restent à faire de l'ancien projet, pour ..................674 415 livres.
    La construction d'un ouvrage à cornes en avant de la tour des Bourgeois, pour ........415 056 livres.
                                                                                                            Total ...... 1 248 794 livres.

    Pour pourvoir au plus pressé, Vauban a marqué d'une croix certains articles dont l'ensemble correspond à une somme de 142 483 livres.

    (4) On doit conclure de là que le premier mémoire aurait mieux été intitulé : « Etat présent.... au 24 avril 1658 » que ce mémoire, rédigé avant les 2e et 3e a été envoyé au Ministre en même temps que ceux-ci, à la date du 13 mai suivant. .
    (5) C'est pourquoi, dans le plan de Belfort de 1698, que j'ai cité et dont l'original fait partie de ma collection, on voit juste en face de la pointe de la contre-garde 47, le couvent avec cette mention : Les Capucins à raser.
    On voit aussi, dans ce plan, le grand ouvrage a cornes, projeté pour couvrir la Tour des Bourgeois et l'entrée du Château, mais qui ne fut jamais construit.

    La partie la plus curieuse du manuscrit est certainement la troisième, intitulée le Camp retranché. Vauban y préconise l'occupation par la fortification d'une ligne continue extérieure à la place qui suivrait les hauteurs nuisibles à cette dernière et commanderait à tout ce qui est devant elle à portée du canon. Tout le terrain, ainsi entouré, formerait le Camp retranché ; les propriétés d'un tel camp se trouvent développées dans un mémoire auxiliaire, non signé et non daté, qui est classé à la même date (13 Mai 1698) que les précédents. Il en sera question tout-à-l'heure.
     Voici la conclusion de trois mémoires : « Tel est, à peu de choses près ce qu'il faut encore faire à Belfort pour achever d'en faire une bonne place, malgré toute l'ingratitude de sa situation qui est telle que je n'en connais point dans le royaume généralement si mauvaise ni à beaucoup près si disgraciée. »
    Le mémoire auxiliaire est intitulé : Propriétés des environs de Belfort sur lesquelles trois observations ont été faites.
    Ces observations visent :
    1° « Les endroits les plus propres pour un camp retranché ; »
    2° « Le circuit de circonvallation par rapport à la place seulement ; »
    3° « Le circuit de la circonvallation avec un camp retranché supposant ledit camp bordé de canon et si bien fortifié qu'il ne puisse être raisonnablement forcé que dans les reigles. »
    Une carte des environs de la ville, à l'échelle de 1 pouce pour 100 toises, est jointe au mémoire.
    On y a figuré le contour de délimitation du camp retranché, il est compris tout entier à l'est de la Savoureuse. Partant de la corne de la Miotte ou de l'Espérance, il suit la croupe qui aboutit, au nord-est, à la tour de la Miotte ; il franchit le Vallon pour atteindre la montagne du Gibet (la Justice). De là, il est dirigé vers le sud-est en laissant le village de Perouse à l'est ; il suit ensuite la croupe jalonnée par les ouvrages actuels des Perches, et remonte au nord jusqu'au Château, en suivant la rive gauche de la Savoureuse.
    C'est ce projet de camp retranché qui a été en partie exécuté de 1792 (6) à 1794, comme le montre la planche 6 de la Notice sur l'Histoire militaire de Belfort par le général A. Papuchon.

Planche 6 de la Notice sur l'histoire militaire de Belfort
Belfort en 1794. Camp retranché entrepris et en partie exécuté de 1792 à 1794.
Notice sur l'histoire militaire de Belfort. Par Alexis Papuchon. 1889.

    Voici de quelle façon Vauban appréciait la valeur d'un tel camp retranché : « Le général qui en commandera les troupes pourra se vanter, s'il a fait les provisions suffisantes, de ne combattre que quand il lui plaira et de laisser morfondre une armée ennemie qui serait venue dans le dessein d'attaquer Belfort lorsqu'il y aura un camp retranché devant cette place. »
    Les deuxième et troisième paragraphes du mémoire ont pour objet d'examiner les tracés de la ligne d'investissement de la place, suivant qu'elle serait ou non renforcée par un camp. Le 3e paragraphe se termine ainsi : « On conclut que la circonvallation que les ennemis auront faite devant Belfort, où nous avons déjà un camp retranché, ne sera pas aisée à forcer, mais on ne croit pas néanmoins que la chose soit impossible à la valeur et à la bonne conduite des Français, à qui jusqu'à présent, rien n'a résisté. »
    Il est à noter que la ligne de circonvallation ou d'investissement indiquée par Vauban, au cas d'existence d'un camp retranché, est sensiblement celle qu'ont occupée les Allemands en 1870. Elle est jalonnée par les villages de Chèvremont, Bessoncourt, Denney, Vétrigne, Valdoie, Cravanche, Essert, Bavilliers, ferme de Froideval et Andelnans (7).

    (6) Un Mémoire sur Belfort, signé Sorbier et daté de Neuf-Brisach le 10 Juillet 1792, préconisait l'organisation d'un camp retranché dont Belfort serait le centre et qui serait jalonné par les hauteurs de la Miotte, du Gibet, des Perches et des Barres. A part les Barres, c'était toujours le projet de Vauban. On estimait qu'un simple cordon de redoutes portant des canons, des abatis par intervalle et quelques bouts de lignes placés derrière ou en avant du village de Perouse « qu'il est bon de lier à ce camp pour tenir l'ennemi éloigné et l'empêcher de s'y établir, » suffiront pour assurer et rendre très important le camp retranché. On estimait que 25 000 ou 30 000 livres devaient suffire à son exécution. On pouvait compter, pour celle-ci sur les habitants des campagnes. On emploiera aussi la main d'œuvre militaire : en quinze jours, deux bataillons de ligne mettront toutes les défenses à leur perfection.
     (7) Un document du même dépôt portant la date du 4 octobre 1700, nous apprend qu’il n'y avait alors dans la ville de Belfort qu'environ 150 maisons bourgeoises, habitées par 200 chefs de famille. Il n'y avait pas plus de 1200 habitants, non compris la garnison.

    A la page 360 de mon Histoire, j'ai dit un mot de l' « Agenda des ouvrages de Belfort commencés et non achevés » que Vauban adressa le 25 octobre 1703 à la Direction Générale des fortifications. Cet Agenda, daté du donjon du château, porte la signature autographe du Mal de Vauban.
    C'est un exposé des travaux à faire à diverses parties de la fortification ; il n'est pas accompagné d'un état estimatif, et se termine ainsi :
    « Boucher le gouffre par où les eaux se perdent proche l'angle saillant du demi-bastion de l'ouvrage à corne et détourner les eaux de cette décharge qui vient de la Forge dans le canal des Moullins. Ce canal est de conséquence pour la place en ce que s'il était au roy on pourrait le revestir et accomoder jusqu'à la demy portée du canon de la place où on prendrait beaucoup plus d'eau qu'il n'en reçoit, ménageant ses décharges autant que de raison, et en amènerait dans la ville pour faire tourner deux moulins à la fois, qui, avec des meules de France, pourraient débiter 100 à 120 septiers de blé par jour. C'est pourquoy le roy ferait très-bien d'acheter ces moulins de M. de la Meilleraye, qui en est embarrassé et qui songe à les tirer hors de la ville pour les mettre ailleurs, chose qu'il ne faut pas permettre par quelque considération que ce puisse être ; une place de guerre ne se peut passer de moulins.
    « Ce serait encore une bonne acquisition ou échange à faire que celle du Comté de Beffort tout entier.
    « Les Vivres ont fait commencer une espèce de halle sur le meilleur terrain de la place et le mieux placé ; on compte de faire cet ouvrage bas et sans autre étage que le rez-de-chaussée, ce que serait faire un mauvais emploi de cette place, dont on peut tripler le mérite en y ajoutant deux planchers et un peu plus de maçonnerie ; il n'y faudrait pas plus de couverture, et, sans « lui donner trop d'élévation, on se peut faire là un très-grand magasin qui ferait symétrie avec les casernes et serait excellent pour les entrepôts des vivres de Comté en Alsace.
    « J'ai remarqué que, dans une profonde paix, il serait très facile de rendre le Doubs navigable depuis la Saône jusqu'à Besançon, de Besançon à Montbéliard, de Montbéliard à Belfort par la Savoureuse ; qu'on pourrait même ménager une jonction avec l'Ill et de l'Ill au Rhin, ce qui ferait passer tout le commerce d'Allemagne à Lyon, de Lyon à Strasbourg par là ; ce qui serait d'une commodité infinie pour le service des armées d'Allemagne. »
    On voit, par ce dernier passage, que c'est Vauban qui, le premier, a émis l'idée du canal du Rhône au Rhin. Ce n'était, dans son cerveau qu'une idée très-embryonnaire, qu'il ne semble pas avoir cherché à approfondir. Mais elle y était en germe, et qui nous dit que ce ne fut pas elle qui, retrouvée dans l'Agenda de l'illustre ingénieur, suggéra, quarante ans plus tard (1744), au maréchal-de-camp du Génie de La Chiche, ses projets de jonction du Rhône-au-Rhin.

HENRI BARDY.

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