Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Méli-Melo Belfort
20 décembre 2023

Légende du Territoire de Belfort — Le revenant de Meroux.

    Après la légende de la dame de Breyva, voici une autre légende de Meroux que nous rapporte Henri Bardy, qui l'a recueillie auprès de la famille GRESSOT de Meroux. Cette légende a été publiée dans la Revue d'Alsace de 1853, puis dans le journal le Ralliement de Belfort du 15 juillet 1893.

UNE HISTOIRE DE REVENANT

    Dans le village de Meroux, un homme était au plus mal. Deux fils composaient toute la famille de cet homme. Autant le plus jeune, Jean, remplissait sa vie de joie et de consolation ; autant Remy, l'aîné, l'abreuvait de tourments. Débauché, haineux, jaloux, il ne dissimulait pas ses implacables ressentiments contre son père, qui, dans plusieurs circonstances impérieuses, avait dû flétrir sa mauvaise conduite d'un blâme sévère, mais mérité.
     Pressentant sa fin prochaine, le père fit venir près de lui ses deux fils pour leur adresser ses recommandations suprêmes.
     Après quelques instants d'entretien : « Mes enfants, leur dit-il, voici mes dernières volontés : Comme je désire vous voir vivre en frères, j'entends que vous preniez chacun une part égale dans mes biens. Je vous recommande, en outre, de faire dire trois messes pour le repos de mon âme, la première un mois à compter du jour où je ne serai plus, les deux autres, chacune après un même intervalle. »
     Il reçut d'eux la promesse qu'ils exécuteraient religieusement ses volontés, il les bénit ; puis, rentrant en lui-même, il se prépara à recevoir les secours de la religion.
     Le prêtre arriva trop tard. Toutefois, comme cet homme s'était toujours conduit en vrai chrétien, on l'enterra suivant toutes les cérémonies de l'Eglise.

Meroux (90)- l'Eglise
Meroux (90)- l'Eglise actuelle. AD du Territoire de Belfort.

     Même en présence du spectacle terrible et imposant de la mort, Remy dont les démonstrations avaient été feintes eu forcées, ne s'était pas réconcilié avec son père. Au mépris du partage sacré arrêté par ce dernier, il ne tarda pas à soulever un procès contre son frère, dans le but de lui voler sa part dans le patrimoine commun.
     Deux mois s'écoulèrent au milieu des tracasseries et des déchirements excités par Remy, et les deux premières messes furent célébrées, mais payées avec les deniers de Jean. Quand il parla à Remy d'en solder la moitié du prix, celui-ci éclata en violentes récriminations et refusa net. Multipliant ses efforts. Il alla jusqu'à corrompre les hommes de loi et à produire des pièces fabriquées pour les besoins de sa cause. Il fit tant et si bien, qu'avant la fin du troisième mois, il fut investi, à l'exclusion de son frère, de tout l'héritage paternel.
     Jean, réduit à mendier, quitta immédiatement le pays sans dire à personne où il se rendait. Il n'envoya jamais de ses nouvelles, et l'on ne sut ce qu'il devint.
     La troisième messe restait à dire.
     Quand le moment fut venu, Remy se garda bien d'aller trouver le curé. La journée se passa… la volonté du mort était enfreinte !...
     Tout le monde dormait dans la maison du mauvais fils et du mauvais frère. Dans la nuit, une rumeur extraordinaire réveilla les serviteurs. Ils écoutent, et il leur paraît que cette rumeur vient de la chambre où était mort le père et où personne n'avait couché depuis. C'étaient des sanglots, des plaintes, des gémissements, des allées et venues, coupées par de rares intervalles de repos. Frappés de peur, ils n'osèrent se rendre à cette chambre pour s'assurer de ce qui s'y passait.
Le lendemain matin cependant ils se hasardèrent à y pénétrer tous ensemble. La chambre était telle qu'on l'avait laissée. Rien n'indiquait qu'elle eût reçu un visiteur nocturne.
     Les nuits suivantes, les mêmes phénomènes troublèrent le sommeil des gens de la maison. Pas un ne fut assez hardi pour tenter d’éclaircir le mystère. Les phénomènes allaient même en grandissant. On remarqua que des sacs de blé, posés au bas de l'escalier, avaient été déplacés et portés au grenier. Les plaintes devenaient plus accentuées. On crut distinguer des mots comme ceux-ci : « Priez « pour moi ! ayez pitié de mon âme ! »
     Au premier chant du coq tout bruit cessait.
     Remy, qui couchait dans un corps de bâtiment fort éloigné, traita de contes en l'air tout ce qu'on lui rapporta sur ce qu'on voyait et entendait dans sa maison. « Après tout, ajouta-t-il, si c'est le père qui revient, grand bien lui fasse ! Il en sera quitte pour faire lui-même sa couverture. »
     Dès lors on laissa l'hôte ténébreux se démener inutilement dans la chambre qui demeura entièrement condamnée.
     Le mois de janvier 1633 commençait. La guerre de Trente ans qui bouleversait l'Allemagne depuis si longtemps venait d'envahir l'Alsace et le Sundgau. Belfort, était tombé au pouvoir des Protestants et leurs soldats campaient dans toutes les localités d'alentour. Un corps de troupes suédoises vint au village de Meroux pour y prendre logement. Les habitations furent mises à contribution, et un homme et son cheval échurent à celle de Remy.

Roi de Suède Gustave II Adolphe avant la bataille de Lützen (1632)
Roi de Suède Gustave II Adolphe priant avant la bataille de Lützen (1832) au cours de laquelle il trouva la mort au combat.

     Lorsque le Suédois se présenta, les gens de la maison lui répondirent qu'il n'y avait plus de place vacante. L'un d'eux objecta qu'il restait la chambre condamnée. « Y pensez-vous, répondirent les autres, effrayés, voulez-vous donc la mort de ce brave soldat ? »
     Celui-ci les pressant de demandes, après bien des hésitations, ils lui apprirent tout ce qu'ils connaissaient du revenant, de ses promenades, de ses prières.
     — « N'est-ce que cela ? dit le Suédois, en riant aux éclats, allons vite qu'on me donne cette chambre ! Dieu soit loué ! nous ne coucherons dehors, ce soir, ni ma bête ni moi. »
     Malgré l'aversion que le pays conquis ressentait pour les Suédois, la frayeur superstitieuse qu’inspirait cette chambre était telle, qu'on ne vit pas sa résolution de l’occuper sans une singulière appréhension. On fit tous les efforts possibles pour l'en dissuader. Mais, lui, persistant et riant de plus belle, on se décida à l’y conduire. Vers dix heures, il prit possession de son logis d'une nuit. Le lendemain, on se remettait en campagne, et il était bon de faire ample provision de repos. Le voyant partir, les gens de la maison se signèrent sur son passage.
     Quand il se trouva seul dans cette chambre, qui, disait-on, où se passaient toutes les nuits des choses si extraordinaires, le Suédois ne put échapper, malgré son courage et son incrédulité, à une certaine impression de crainte. Il en sondait du regard chaque coin, examinant par où l'hôte mystérieux, s'il en existait un, pouvait faire pénétrer. Il songe alors à se prémunir contre une attaque, qu'elle dût venir des vivants ou des morts. Il descend à l'écurie et revient avec les harnais de son cheval. Il les dépose sur l'arche-banc. « Au besoin, dit-il en riant, nous en chargerons les épaules du revenant. »
     « Revenant ! » lui renvoya l'écho de la chambre, laquelle était très-vaste. Le Suédois tressaillit, et bien qu'il n’aperçût rien d’extraordinaire, il sentit que son cœur battait plus vite. Il place son sabre à la tête de son lit, de manière à pouvoir facilement le saisir et s'assura que la fenêtre était bien close. Puis, il tira son couteau de la ceinture, et le fit glisser au-dessus de la ticlette de la porte pour empêcher toute entrée du dehors. Ces mesures prises, il se coucha, et s'endormi …
     A l'extérieur nul bruit, nul bruit dans la maison. La lune, dans tout son éclat, brille doucement au-dessus du village, et ses rayons, mêlés à la réverbération de la neige, envoient dans la chambre une lueur incertaine qui suffit cependant pour permettre de distinguer tous les objets.
     A minuit, le Suédois est soudain arraché à son premier sommeil. Il a cru percevoir les pas d'une personne gravissant lourdement l'escalier qui craque sous son poids. Il prête l'oreille ; on s'arrête ; on a saisi le loquet. On secoue la porte qui résiste. Il regarde.... la porte s'ouvre. Se rappelant alors qu'il a placé son couteau dans la ticlette, il croit rêver, il se frotte les yeux et regarde de nouveau. Un vieillard, dont les traits sont plus blancs que la neige qui enveloppe en ce moment la nature, et dont la marche s'éclaire d'une lumière indéfinissable, pâle et triste comme celle qu'on voit flotter dans la nuit au-dessus des tombeaux, entre dans la chambre et ferme la porte avec soin. Le voilà maintenant qui se dirige lentement vers le lit.
     La terreur avait saisi le Suédois.
     « — Qui es-tu ? que veux-tu ? » cria-t-il en sautant sur son sabre.
     « — Je suis l'hôte de cette chambre, et je reviens dormir dans mon lit. »
     « — N'avance pas davantage ou je frappe ! » crie le Suédois, devenu pâle et frissonnant de peur.
     « — Les morts n'ont rien à redouter des armes des vivants ; fais-moi place que je dorme encore dans mon lit. »
     Et le vieillard s'approcha tout près, si près, que le soldat sentit le froid de son souffle. Eperdu, le sabre à la main, il fait mine alors de lutter contre le fantôme. Celui-ci reste immobile, le couvrant de son regard morne et pénétrant.
     Tout-à-coup, il se met à tourner autour du lit, toujours éclairé de cette lumière singulière qui semble sortir du sol sous ses pas.
     Le lit était adossé de deux côtés à la muraille. Spectacle curieux et inexplicable ! Il tournait tout autour comme s'il eût été placé au milieu de la chambre.
     Le Suédois qui, succombant à l'effroi dont il était de plus en plus frappé, avait laissé glisser son arme et était retombé presque anéanti, le regardait d'un œil hagard. Il l'apercevait vaguement marchant dans la muraille qui s'illuminait alors comme de clartés phosphorescentes. Enfin le fantôme s'arrêta. Horreur ! le soldat sent contre son corps le contact d'un corps humide et glacé ! le sang s'arrête dans ses veines.... Il s'évanouit... Revenu à lui, il éprouve cette étrange et douloureuse oppression que donne le fouilletot. (1) Il comprend que son terrible compagnon de nuit est accroupi sur sa poitrine.
     « — Homme mort, peut-il à peine articuler, que faut-il faire pour te délivrer du purgatoire ? »
     « — Il ne faut plus qu'une messe pour délivrer mon âme. Veux-tu me jurer de la faire dire demain par le curé ?
     Le Suédois, fervent protestant, recula devant l'idée de s'adresser à un prêtre catholique.
     Le fantôme comprit ce qui se passait en lui. La pression devint plus forte. L'étouffement monta à la gorge du patient.
     « — Je le jure, » dit-il enfin d'une voix strangulée. »
     La pression, le fantôme, la lueur, tout se fondit instantanément.... Il ne restait au Suédois, de tout ce qui s'était passé, que ce que laisse après lui un fort accès de fièvre.
     Sans la crainte de passer pour un poltron, il eût, bien volontiers, réveillé de suite tous les gens de la maison. Cette crainte le força d'attendre jusqu'au jour dans d'indicibles angoisses.
     Enfin le jour survint. Il pût descendre. Sa pâleur effraya ceux qui l'aperçurent, et leur effroi s'augmenta au récit de l'épouvantable aventure de la nuit.
     Il se présenta chez Remy pensant qu'après tout c'était à lui à faire les frais du service religieux. Celui-ci refusa, et, s'il contint sa fureur, c'est qu'on était en pays vaincu, et que, tout en haïssant vigoureusement les Suédois, il était bon de conserver des égards devant eux. Voyant qu'il n'obtiendrait rien de Remy, le soldat se décida à se rendre chez le curé du village auquel il donna l'argent nécessaire.
     La messe fut célébrée.
     Depuis lors le fantôme ne revint plus. Son âme était délivrée des tourments du purgatoire.
     Le jour où le Suédois remplissait son serment, Remy tomba frappé d'une mort foudroyante. On remarqua qu'il avait dû mourir au moment même où finissait la troisième messe. »

    (1) Nom sous lequel est désigné le cauchemar dans le patois des environs de Belfort.

Publicité
Publicité
Commentaires
Méli-Melo Belfort
  • Ce blog veut, de façon hétéroclite, mettre en lumière des faits, événements et autres informations historiques, géographiques et culturels sur Belfort et son Territoire, collectés en majorité sur des anciens journaux, revues et livres.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Newsletter
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 688
Publicité