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Méli-Melo Belfort
5 novembre 2023

Légende du Territoire de Belfort — La dame de Breyva.

    Henri Bardy, notre historien, s'intéressait également au folklore, et entre autres aux légendes locales. Ils exhortaient à ce que, tous ceux qui le pouvaient, recueillent par écrit les histoires qui étaient véhiculées, parfois depuis des siècles, par voie orale. Ceci afin que ces légendes ne finissent pas par se perdre. Je ne suis pas sûr qu'il ait été beaucoup écouté. Heureusement, il en a sauvé, lui-même, quelques unes en se les faisant raconter par des anciens des villages de Novillard et Meroux. Je ne pense pas que ces légendes soient encore connues à l'heure actuelle, y compris dans les communes dont il est question dans celles-ci. Je vais donc essayé de les faire sortir de l'oubli en les publiant ici. En espérant que les habitants du Territoire de Belfort se les réaproprient à nouveau. Je commence par une légende de Meroux. Elle a été publiée par Henri Bardy, en 1847 dans la revue d'Alsace, puis dans la Revue des traditions populaires de novembre 1898, et pour finir, dans ses Miscellanées n°7 en 1899 :

    Les vieilles gens s'en vont, et avec elles les vieilles histoires, les anciennes traditions, les naïves légendes de nos pères. Si l'on ne se hâte de recueillir pieusement tous ces récits d'autrefois, il n'en restera plus bientôt la moindre trace, et ce sera vraiment regrettable sous bien des rapports, et particulièrement au point de vue de l'histoire que la légende éclaire en maintes occasions. « En général, a dit avec raison un jeune savant de l'Ecole des Chartes, M. VALLET, partout où vous voyez une légende, quelque erronée, quelque amplifiée qu'elle soit, vous pouvez être sûr, en allant au fond des choses, que vous y trouverez une histoire. »
     Chaque pays a ses traditions, en plus ou moins grand nombre, suivant le caractère plus ou moins poétique et superstitieux de ses habitants. Elles ont pour la plupart été recueillies ; de vastes recherches ont été publiées sur ce sujet. Notre Alsace n'est pas une des provinces les moins riches en légendes, et la Revue [d'Alsace] en a déjà sauvé quelques unes d'un véritable oubli. Les environs de Belfort sont fertiles aussi en récits de ce genre : il n'y a guère de vieux château dans ces cantons qui n'ait sa dame blanche ; guère de clairières dans ces forêts qui n'ait son apparition. Au château ruiné de Rosemont, tous les cent et un ans, il revient une ombre qui se promène tristement dans les débris pendant une nuit entière.

Chateau de Rosemont, Bichebois Louis-Philippe, 1828
Chateau de Rosemont, Bichebois Louis-Philippe, 1828. Source gallica.bnf.fr.

    A l'ancien château d'Essert, une dame blanche revient aussi, pendant les nuits sombres ; elle poursuit le voyageur et le détourne de son chemin : le malheureux marche, marche toujours, et au point du jour, exténué de fatigue, il voit avec douleur qu'il a tourné sans cesse sans sortir de la petite combe située au pied des ruines. — Lorsqu'après avoir dépassé le martinet d'Offemont (près de Belfort), en suivant la direction qui mène au village, vous vous écartez du droit chemin en allant à gauche, vous trouvez un pré et un petit étang dont une extrémité s'enfonce dans le bois de l'Arceot. Les anciens du pays prétendent que dans cet endroit un esprit revient tous les cent et un ans (on remarquera, dans ces légendes, presque toujours ce même nombre). Il y a déjà longtemps de cela, un homme d'Offemont fut réveillé en sursaut au milieu de la nuit. Il vit une femme vêtue de blanc qui le supplia de venir jusqu'à l'étang de la forêt. Là, il fallait lui ôter une clef de feu qu'elle tenait serrée entre les dents. La clef enlevée, l'âme était rachetée de la damnation. Le paysan eut peur d'abord, il hésita et perdit du temps avec ses hésitations. Il allait enfin se décider, à la grande joie de l'âme en peine, quand le coq annonça le lever du jour. « Ah! malheureux, tes retards m'ont perdu, je suis encore damnée pour cent et un ans ! » et en disant ces mots, l'apparition disparut.

LA DAME DE BREYVA

    Dans la forêt de Breyvâ, non loin de Meroux, on voit aussi, parfois, un blanc fantôme errer lentement au clair de lune, apparaître et disparaître derrière les arbres. Malheur à celui qui s'approcherait trop près des endroits hantés par cette âme damnée, et qui, la nuit, traverserait cette forêt maudite sans avoir mis préalablement dans sa poche une pincée de sel. L'imprudent serait infailliblement perdu ; entraîné hors de son chemin par une puissance surnaturelle, il verrait de près la dame de Breyvâ, tenant dans sa bouche une clef de feu, et il aurait à coup sûr le même sort que ce jeune homme de Meroux qui, malgré les sages conseils de ses amis, voulût, à toute force, traverser, de nuit, la forêt de Breyvâ.
     Voici cette triste histoire, telle qu'elle m'a été racontée par un des anciens du village de Meroux :
     Trois paysans de cet endroit revenaient, un soir fort tard, de la fête de Bourogne. Le plus âgé était un homme prudent, se méfiant du diable et de ses maléfices, et craignant Dieu. Le second, sans être tout-à-fait irréligieux, n'adoptait pas toujours les croyances du bonhomme et se moquait même quelquefois de ses histoires. Mais, le plus souvent, il s'en voulait après d'avoir ainsi douté, et alors il se dépêchait de se repentir à l'intérieur. Quant au plus jeune, c'était une nature bien autrement décidée. Adonné sans cesse à tout ce qui pouvait ajouter à la somme de ses plaisirs, il ne contractait souci ni de Dieu, ni du Diable. Aussi eût-il été fort difficile de dire de son âme qu'elle était blanche de tout péché mortel. Tout en jasant de la fête, des amis avec lesquels on avait bu largement et gaîment, des jolies muniattes qu'on avait fait sauter, ils étaient parvenus, sans s'en apercevoir, à la lisière de la forêt de Breyvâ. Le plus âgé, l'ayant remarqué le premier, dit à ses compagnons qu'il valait mieux prendre par la grande route, que ce serait un peu plus long, mais plus sûr et moins fatiguant.
     Le plus jeune se moqua de lui, le traitant de peureux, de vieille femme, et parvint, non sans peine, à décider ses deux compagnons à passer par la forêt. Ils arrivèrent bientôt dans une clairière. Là, s'élevait jadis le manoir redouté de la châtelaine de Breyvâ. Aujourd'hui quelques pierres blanchâtres, rongées par le lichen et le temps, et deux puits presqu'entièrement comblés, dont les margelles disparaissent sous la mousse et les feuilles, en signalent seuls l'existence passée.
     Les deux plus âgés traversèrent la clairière sans accident. Il n'en fut pas de même du plus jeune. Dès qu'il y eût posé le pied, il se sentit frappé d'une lassitude étrange. Sans pouvoir se l’expliquer, il se trouva en arrière de ses compagnons. Il voulut courir après eux, ses jambes se soulevaient à peine du sol. Il voulut les appeler, crier ; sa voix était vide de son. Alors il eut peur, il frissonna, et vint tomber, plutôt qu'il ne s'assit, épuisé, sur la margelle d'un des puits. Il lui parut que deux mains de fer s'étaient appesanties sur ses épaules et l'avaient jeté à cette place.
     Une clarté éblouissante envahit inopinément toute la clairière. Devant lui venait de s'allumer un immense foyer. Il s'en approcha aussitôt pour ranimer ses membres engourdis. Effort inutile ! Ce foyer clairait, mais il ne chauffait pas. Sa lumière, d'abord ardente à vous aveugler, rougit, pâlit et ne projette plus bientôt que des rayons doux et tristes comme ceux de la lune.
     Debout, derrière ce foyer, et serrant entre les dents une clef qui brillait dans la nuit comme un charbon embrasé, se tenait une blanche apparition.
     C'était la dame de Breyvâ, dont l'âme ne devait avoir ni trêve ni repos jusqu'au jugement dernier, en châtiment de ses exactions et de son avarice. Dieu voulait qu'elle eût les dents et les lèvres sans relâche brûlées par cette clef qui lui avait servi à cacher ses trésors injustement acquis. Cette âme damnée revenait dans la clairière, égarait l'imprudent qui osait s'aventurer dans la forêt, et tâchait de lui faire arracher la clef maudite qui la consumait.
     A la vue du fantôme, le malheureux se mourait d'épouvante. Une voix intérieure lui dit qu'il fallait essayer d'arracher cette clef, stigmate de honte et instrument de torture. D'instinct, il y porte la main ; à peine si elle remue sous les secousses désordonnées qu'il lui imprime. Un mal atroce, celui causé par un fer rouge, le force à lâcher prise.
     Il essaye de nouveau, plus résolu, plus audacieux que d'abord. Oh bonheur ! la clef se descelle des dents tenaces du fantôme. Elle vient ! .... Mais le mal, devenu plus insupportable, a détendu une seconde fois ses doigts raidis. Tout est à recommencer ....
     « Plus qu'une épreuve, dit le fantôme, une seule épreuve, entends-tu. Songe, songe à ton salut et au mien ! »
     Fou de douleur, ivre de ce courage que la terreur seule peut donner, il s'est cramponné avec rage à la clef. Cette fois, les dents ont abandonné leur infernale proie ! les lèvres seules continuent à la retenir. A leur tour, les voilà qui s'en détachent, pelées, noircies ! — La clef, la clef, oh ! nous l'aurons cette fois!.... — Une seconde, et elle est à lui Mais à l'instant décisif, le supplice a vaincu de nouveau la peur de la damnation, ses mains se sont ouvertes. La clef ! elle est rivée plus sûrement que jamais !....
     Cependant les deux autres paysans, s'étant aperçus de la disparition de leur camarade, le cherchaient depuis longtemps déjà, interrogeant du regard et de la parole chaque partie de la forêt. Tout-à-coup, ils s'arrêtèrent saisis d'étonnement. La bise avait apporté jusqu'à eux des accents plaintifs comme ceux d'un mourant. Ils se dirigèrent vers l'endroit d'où ces plaintes avaient dû partir, et se retrouvèrent enfin dans la clairière.
     Leur jeune compagnon était là, étendu sur le sol, la tête appuyée sur la margelle du puits. Le croyant endormi, ils se mirent à le secouer avec vigueur, mais ils remarquèrent bientôt sa pâleur de marbre et l'affreuse contraction de ses traits.
     « La dame !.... la clef !.... ah ! elle brûle.... » râla-t-il dans un effort suprême. Ses deux camarades le prirent dans leurs bras pour le soulever : le corps retomba inerte.
     L'enfer comptait un damné de plus.

HENRI BARDY.

Meroux (90), vue du villlage
Meroux (90) - Vue du village. AD du Territoire de Belfort.

    Dans le bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation de 1895, on peut lire une variante de cette légende, en patois de Chatenois (les-Forges), intitulé Breuilva. Dans le même bulletin, on a une explicitation du terme Breuilva que je copie ici :

    "Nom de lieu d'ancienne facture, c. a. d. du temps ou la déclinaison n'avait pas disparu de notre parler néo-latin. Il est formé de Vâ = vau = val, et de : — Breuil, mot venu de haut à travers le bas-latin (Brollum, broletum, bruillum, brolium, brogillum). — En vieux fr. Breu, brel, brui, breil, breuil, bregille, etc. Il signifiait: petit bois, bois taillis, brousse, parc, bois réservé à la chasse.
    Ducange signale l'étym. grecque Peri bolion.
    Breuil est très répandu dans les pays de l'ancienne France, excepté la Bretagne, mais y compris l'Alsace rhénane où il prend les formes de Bruhl, brugel, brygel, breyel, bruchel, briehl, preyal. (Dict. top. Stoffel),
    Dans notre région nous avons, breu, breulle, breuleux ?, broille, breyvà, Brévilliers ? sur Pruelle (Vezelois). (D. Stoffel)."

    Il est également indiqué dans le bulletin, 2 lieux-dits nommés Breuilva, un entre Chatenois et Bussurel, pas loin de la la borne des 3 départements, dans le bois des hautes feuillées, et un à St-Dizier. Mais aucun à Meroux. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en ait jamais eu un.

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