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Méli-Melo Belfort
31 mai 2023

Souvenirs du siège de Belfort - Joseph Berger : Le trentenaire.

    Nouveau souvenir du siège de Belfort par Joseph Berger.

Un vieux de trente ans

Souvenirs de la guerre de 1870

    Dans la nuit du 1er au 2 septembre 1870, il y avait environ une heure que nous étions dans le train qui nous transportait de Lyon à Belfort ; nos yeux s'étaient peu à peu habitués à la demi-obscurité qui régnait dans le wagon où nous étions empilés avec nos fusils à piston, nos musettes et les abondantes provisions de route dont nous avait nantis, à la gare de Vaise, le comité lyonnais organisé pour venir en aide aux troupes de passage, quand mon voisin de droite me donna un coup de coude en poussant cette exclamation : —  Oh ! ce vieux ! — en même temps il me montrait un mobile assis dans l'un des coins du wagon, dont le visage paraissait être celui d'un homme plus âgé que nous.
    De proche en proche, nous nous questionnâmes à voix basse sur ce vieux ; aucun des mobiles installés dans le wagon ne le connaissait ; quant à lui, malgré le bruit, les cris de toutes sortes, les exclamations, les chants même, il paraissait ne vouloir rien entendre ; ramassé dans son coin, il fermait les yeux et semblait dormir tranquillement. Il était habillé comme nous tous, d'un pantalon gris-bleuté à bande rouge, d'une blouse en toile bleue et d'un képi en drap noir avec bandeau rouge ; de petite taille, notre compagnon avait un nez d'une longueur dépassant celle ordinaire et de grandes et épaisses moustaches qui semblaient, dans l'ombre, couper son visage en deux parties.
    Après avoir examiné notre camarade de route, constaté une fois de plus qu'il nous était inconnu et demandé vainement à chacun de nous comment ce vieux s'était faufilé dans la mobile, notre gaité primesautière reprit le dessus, nous ne nous occupâmes plus de notre voisin et nous continuâmes à faire du bruit, à chanter, à vociférer même comme précédemment.
    Ce vieux, ainsi que nous le désignâmes tout d'abord entre nous et qu'il fut toujours surnommé dans la suite, n'avait que trente ans ; mais pour nous, soldats de vingt à vingt-quatre ans alors, un homme de trente ans nous paraissait d'un âge fort éloigné du nôtre et de là cette qualification de vieux qui resta à notre nouveau camarade et dont d'ailleurs il ne paru jamais se froisser. Officiellement il répondait à l’appel de Henri Muller.
    Ainsi que nous l'apprîmes par la suite, notre frère d'armes de trente ans était un alsacien, né à Bischheim, près de Strasbourg ; il avait fait un congé de sept ans sous les drapeaux et était resté presque tout le temps de son passage à l’armée dans les casernes de Lyon. A sa libération, au lieu de retourner dans son village d'Alsace, il préféra prendre son domicile à Lyon. Bon ouvrier mécanicien, il avait facilement trouvé de l'ouvrage dans l’une des nombreuses usines de la ville.
    Dans la soirée d'un jour du mois de janvier 1870, il avait rencontré, à Lyon même, dans la famille d'un compatriote, une alsacienne, petite et gracieuse blonde qui répondait au prénom de Louise, de quelques années plus jeune que lui, née à Schiltigheim, ville située tout près de celle où était né Henri Muller. Elle était entrée, à Strasbourg, au service de la famille d'un chef de bataillon, que le changement de garnison avait amené à Lyon et qu'elle avait suivi.
    Quelques semaines après cette rencontre, le mariage unissait l'ancien soldat Henri Muller et la jeune servante Louise, et leur union s'écoulait tranquille et douce, lorsque la déclaration de guerre, entre la France et la Prusse, éclata comme un coup de foudre.
    D'abord, indifférent au départ de nos régiments pour la frontière, l'ancien militaire devint sombre et nerveux à l'annonce des premiers revers essuyés par nos armes ; puis, lorsqu'il apprit que les allemands avaient envahi l'Alsace, qu'ils occupaient son village natal, lorsqu'il vit sa femme se lamenter au reçu d'une lettre de Schiltigheim lui apprenant que la petite ferme de son vieux père avait été saccagée et la maison incendiée, il n'y put plus tenir et manifesta l'intention de reprendre du service pour la durée de la guerre. Sa jeune compagne n'émit aucune objection à son désir, au contraire, faisant passer son amour de la patrie avant son affection d'épouse, la vaillante et patriote. Alsacienne encouragea son mari à partir pour la frontière avec ses anciens compagnons d'armes et, pour subvenir à ses besoins pendant l'absence de son époux, elle monta avec leurs modestes économies, un petit magasin d'épicerie dans le quartier qu'ils habitaient, rue saint-georges.
    Engagé pour la durée de la guerre, notre ancien soldat demanda et obtint assez facilement, paraît-il, d'être incorporé dans l'un des régiments de mobiles qui partaient pour Belfort et il nous avait rejoints, le soir même de notre départ du camp de Sathonay, à la gare de Vaise.
    D'abord réservé avec nous, notre vieux camarade s'était bien vite habitué à notre jeunesse tapageuse. Rompu au service militaire et à toutes ses multiples exigences, il était d'une grande utilité à ses jeunes et inexpérimentés frères d’armes ; prévenant, plein d'entrain et de gaité, toujours prêt à rendre service à ses camarades, c'était bien le meilleur compagnon que l'on put trouver ; débrouillard accompli, il en résultait que c'était toujours les mobiles de son escouade qui étaient les mieux casés, avaient leurs armes les plus en état et leurs effets relativement les meilleurs, rien ne manquait à  leur ordinaire. Envoyé en corvée de vivres, c'est Muller qui rapportait les plus jolis morceaux de la boucherie et la plus grosse part de légumes. Quand on campait, la tente de ses compagnons et celles de ses voisins étaient établies d'une manière parfaite, la couche de paille, sous sa tente, était bien toujours d'une épaisseur double de celles des autres ; il était enfin d'une utilité de tous les instants et d'une complaisance inépuisable pour ses enfants, ainsi qu'il nous appelait.
    Il en aurait fallu de ces anciens militaires comme lui, au moins une dizaine par compagnie, dans nos bataillons ; combien ils auraient été utiles à ces jeunes conscrits ! que de déboires, que d'ennuis, que de défaites mêmes ils auraient évité à ces mobiles, soldats plein de vie, de force et de bonne volonté, mais sans aucune notion militaire, ne connaissant rien du métier de la guerre, n'ayant personne pour les conseiller, les guider, les former, même dans les plus petites dispositions de la vie régimentaire ; leurs caporaux, leurs sous-officiers et hélas ! beaucoup de leurs officiers étant aussi inexpérimentés, aussi ignorants qu'eux-mêmes !
    Quant à nous, nous fûmes très heureux d'avoir Muller pour compagnon d'armes ; malheureusement nous ne le conservâmes pas assez longtemps.
    Le 2 novembre, à Roppe, au moment où les premiers coups de fusils se faisaient entendre, Henri Muller se trouvait au milieu de la route qui traverse le village, à quelques pas de notre chef de bataillon et d'officiers qui cherchaient à se rendre compte de ce qui se passait.
    — Mon commandant, dit Muller, voulez-vous que je parte à la découverte ?
    — Allez et revenez vite, lui répondit l'officier.
    Muller partit au pas gymnastique et disparut au tournant de la route.
    Arrivé aux Errues, il trouva la première compagnie du bataillon aux prises avec un détachement de chasseurs badois. Au lieu de revenir en arrière rendre compte de ce qu'il avait vu et jugeant d'ailleurs que les estafettes qu'il avait croisées en route avaient déjà suffisamment renseigné le commandant, Muller, saisi par l'odeur de la poudre et l'âpre plaisir de battre les ennemis qui foulaient le sol de sa chère Alsace, se glissa parmi les combattants et se mit à faire le coup de feu, de concert avec les mobiles du Rhône.
    En partie abrité par un arbre derrière lequel il tirait sur les allemands comme il aurait tiré à la cible sur le champ de manœuvre, il visait avec soin, sans se presser, avec une précision remarquable ; presque tous ses coups portaient et il poussait des exclamations de joie, toutes les fois qu'il voyait un allemand, frappé par l'une de ses balles, rouler dans la poussière.
    Il venait de tirer sur un officier badois, lorsqu'une balle ennemie l'atteignit au bras droit et lui fit lâcher son fusil ; ne pouvant plus combattre, il ramassait son arme de la main restée valide, lorsqu'une autre balle allemande le frappa au côté gauche et pénétra un peu au-dessus de la hanche ; il tomba.
    Après le combat et la retraite tant de l'infanterie allemande battue aux Errues que des escadrons de uhlans qui avaient voulu forcer l'entrée du village de Roppe par la droite et que nous avions obligés à fuir, Henri Muller fut transporté à Belfort. Nous ne le revîmes plus ; nous apprîmes plus tard qu'il avait succombé à ses blessures
    Quelques jours après notre retour à Lyon, en avril 1871, nous voulûmes, deux amis de Muller et moi-même, nous informer de ce qu'était devenue la veuve de notre vieux camarade. Ce que nous apprîmes d'elle était bien triste.
    A l'annonce de la mort de son mari, Louise Muller avait pleuré toutes ses larmes ; elle était tombée malade ; par suite, le petit magasin qu'elle exploitait à Lyon, rue Saint-Georges, avait été fermé, puis vendu, les petites économies s'en étaient allées et la misère était venue, triste compagne de la douleur et de la souffrance.
    Vers les premiers jours de février 1871, la maladie semblait pourtant décroître et, la jeunesse aidant, la veuve de notre compagnon d'armes paraissait revenir quelque peu à la santé, lorsqu'elle apprit la signature de la paix et ses tristes conditions.
    La cession de son pays natal, de sa chère et bien-aimée Alsace aux allemands lui causa une douleur poignante ; la fièvre s'empara de nouveau de Louise Muller, elle dut encore s'aliter, cette fois-ci pour ne plus se relever !
    Le 26 mars 1871, pendant que Lyon était en liesse, que ses habitants jetaient des rieurs et des couronnes aux survivants des mobiles du Rhône, dont les bataillons revenaient décimés mais invaincus de Belfort, un cercueil était descendu de l'un des galetas d'une vieille maison du quartier Saint-Georges ; quatre porteurs le mettaient facilement, tant il était léger, sur leurs robustes épaules et, précédés d'un vieux prêtre et d'un enfant élevant vers le ciel une croix argentée, ils prirent le chemin qui conduit à  la dernière demeure ; personne ne suivait le convoi, aucune couronne ne cachait le drap noir qui recouvrait la modeste bière ; arrivé à  l'église, le curé qui aimait les pauvres gens, avait, malgré la gratuité du service, dit une messe pour le repos de l'âme échappée du corps qu'il accompagnait au champ du repos. Au cimetière de Loyasse, la bière avait été descendue hâtivement dans la fosse avec, pour seul gémissement, le râlement sinistre des cordes sur le sapin dégrossi ; l'eau bénite, jetée par le prêtre sur le cercueil, avait été les seules larmes versées pour dernier adieu à la pauvre dépouille mortelle abandonnée et la terre s'était croulée et avait renfermé à jamais le corps inerte et glacé de Louise Muller, de la jeune veuve du mobile tombé au champ d'honneur, de la douce et simple alsacienne morte de douleur, morte de misère, n'ayant pu survivre à son époux ni à la perte de sa chère Alsace !

Joseph Berger.

Belfort_et_ses_environs_pendant_le siege de 1870-1871_Errues
Extrait d'un plan de Belfort et ses environs pendant le siège de 1870-1871 où apparait le lieu-dit les Errues en haut à droite. (Source Gallica)

    Ce souvenir évoque un combat préliminaire au siège de Belfort qui s'est déroulé au lieu-dit les Errues, commune de Menoncourt, près de Roppe le 2 novembre 1870. Et qui a opposé les mobiles du Rhône aux Badois. On ne connait pas les noms de tous les tués du côté français mis à part Louis Duchamp et Charles Montain, d'après l'ouvrage « Le Livre d'or du siège de Belfort 1870-71 » par Bernard Cuquemelle et Christophe Grudler. Henri Muller pourrait-il en être un autre ? Pour cela il s'agit déjà de vérifier les informations données par Joseph Berger dans son récit. J'ai donc essayé de retrouver son acte de naissance à Bischheim vers 1840, son acte de mariage à Lyon en 1870, et son acte de décès en 1870 à Belfort ou sa retranscription à Lyon. Force est de constater, que je n'ai rien trouvé !
Joseph Berger a t'il voulu préserver l'anonymat du principal protagoniste de cette histoire en changeant ses nom et prénom ? Dans ce cas là, la seule chose possible de faire, c'est de passer par sa femme, dont malheureusement on ne connait pas le nom de jeune fille. Pour cela il faudrait pouvoir consulter les registres de convois funéraires et d'inhumations de Lyon, mais d'après ce que je peux lire, il n'y en aurait pas avant 1876. Donc impossible de vérifier si une femme a bel et bien été enterrée le 26 mars 1871 au cimetière de Loyasse, et quel était son nom. De là, on aurait pu rechercher son acte de mariage sur Lyon. Impossible de passer par les recensements sur Lyon pour la rue Saint-Georges car celui de 1872 est trop récent et celui de 1866 trop tardif.

    J'aurais tendance à croire finalement que ce souvenir est largement romancé, voire complètement inventé, même si le narrateur se met lui même en scène dans cette histoire. Car j'ai du mal à comprendre, pourquoi, vu que Henri Muller est mort à Belfort, certainement à l'hôpital militaire, on n'aurait pas retrouvé son nom. Par acquis de conscience, même si leurs noms ne sont pas du tout alsaciens, j'avais vérifié si Louis Duchamp ou Charles Montain ne se cachaient pas sous le vocable d'Henri Muller, évidemment ce n'était pas le cas.

    Si quelqu'un a une idée pour retrouver ce "Henri Muller", je suis preneur ! Personnellement je serais pour attendre que les registres de la garde nationale du Rhône soit accessible en ligne. J'ai lu que cela était en projet, en tout cas pour ce qui concerne la ville de Lyon. Peut-être que cela nous permettra de dénouer cette histoire.

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