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Méli-Melo Belfort
27 août 2023

Souvenirs du siège de Belfort - Joseph Berger : Enfantillage.

    Nouvel épidode des Souvenirs du siège de Belfort de Joseph Berger intitulé Enfantillage, extrait de la Revue du Lyonnais n°30 de 1900.

ENFANTILLAGE

    Le 3 décembre, à deux heures du matin, on nous fit mettre sous les armes. Le rassemblement par compagnies fut rapidement exécuté, car nous couchions tout habillés, sur des bottes de paille ou de foin qui nous servaient de lit : le temps seulement de rouler la couverture autour du sac, pour quelques-uns de remettre à la hâte leurs souliers, quittés malgré la défense qui en était faite, et nous étions prêts, alignés sur la route qui traverse le hameau des Forges, à la place habituelle affectée à chaque compagnie, répondant l'un après l'autre, d'une voix monotone et lasse, à  l'appel des caporaux.

Plan du hameau de la Forge (1870) Belfort Offemont
Hameau de la Forge. Extrait carte de Belfort et ses environs (1870). Source Gallica.
Les tranchées sont figurés en rouge.

    Il faisait un froid très vif ; le ciel, du côté d’Essert et de, Bavilliers, était éclairé par de grandes lueurs rougeâtres produites par des incendies.

Vue de Bavilliers bombardé siège de Belfort 1870-1871
Bavilliers bombardé durant le siège de Belfort de 1870-1871.

    On s'attendait à une attaque. La veille, de grands mouvements de troupes avaient été remarqués chez les assiégeants ; ces derniers avaient même semblé abandonner Bavilliers, d'où nos reconnaissances les délogeaient d'ailleurs assez souvent ; mais ce jour-là, les prussiens avaient voulu nous tendre un piège ; ils étaient partis par compagnies et très ostensiblement du village et lorsque nos mobiles y arrivèrent quelques instants après ce départ, ils trouvèrent dans Bavilliers un ennemi retranché, en force considérable, dont le tir abrité nous avait surpris et forcés de battre en retraite.
    Immobiles sur les rangs, nous attendions des ordres. Des officiers allaient de l'un à l'autre des postes de grand'gardes, stimulant l'attention des sentinelles, écoutant, interrogeant l'espace. D'abord silencieux et attentifs, les hommes, sac au dos et l'arme au pied, fatigués de cette inaction, commencèrent à causer, à s'interpeller d'une section à l'autre ; le froid les gagnait, ils battaient la semelle sur le sol durci par la gelée ; quelques mobiles s'entouraient la tête, les oreilles surtout, avec des mouchoirs ou des morceaux de cache-nez.
    Pour nous faire patienter, on nous fit faire quelques mouvements, des marches le long de la route, entre les maisons des Forges ; les habitants, réveillés, nous regardaient effarés de leurs portes entr'ouvertes. Chacun de nous interrogeait l'espace ; on comptait les coups de feu qui s'échangeaient aux avant-postes. Comme la nuit s'avançait, la température devenait plus glaciale. Enfin, le jour parut et avec lui vint l'ordre de rompre les rangs et de regagner les cantonnements.
    Vers huit heures du matin, les quelques mobiles qui, malgré le froid, étaient dehors en corvée ou pour d'autres causes, vinrent en courant annoncer à ceux qui étaient à l'intérieur des cantonnements, que les allemands bombardaient la ville. Tous aussitôt de sortir et de se porter sur les chemins et les routes pour s'assurer du fait. C'était exact ; des batteries établies en avant d'Essert, sur le bord des plateaux et la rive gauche de la Douce, les assiégeants lançaient des obus sur Belfort et des bombes sur le fort des Barres.

Plan de situation, Belfort, Offemont, Forges, Essert, Bavilliers
Plan de situation du lieu de l'action du récit : Belfort, le fort des Barres, Offemont, les Forges, Bavilliers, Essert.

    Les obus traversaient l'espace en sifflant, éclataient avec un bruit effroyable et leurs éclats, en volant de toutes parts, imitaient des miaulements qui terrifiaient ceux près desquels ils passaient. On suivait plus curieusement l'arrivée des bombes qui, avant d'éclater, lorsqu'elles tombaient sur le sol, rebondissaient plusieurs fois et nous rappelaient les ballons de nos jeux d'enfants.
    Ces obus et ces bombes arrivèrent sur Belfort, pendant ce premier jour de bombardement, sans discontinuer un instant ; on en compta, nous a-t-on dit plus tard, près de cinq mille tombés sur la ville et les fortifications. Nos batteries y répondirent, mais plus faiblement ; elles n'envoyaient à l'ennemi que le tiers à peu près des projectiles qu'il nous lançait : la défense avait à ménager ses munitions, car il n'existait dans Belfort que soixante mille projectiles pour pièces rayées, et la fonderie que Denfert avait fait établir sur la petite place située à l'entrée de la porte de France, au pied des bâtiments militaires, ne pouvait arriver à produire plus de deux cents obus par jour.
    Ce furent les mobiles du Rhône qui eurent l'honneur de répondre les premiers au tir de l'ennemi, voici comment :
    Au moment où les premiers obus arrivèrent sur la ville et les ouvrages du château, les canonniers chargés du service des pièces de la citadelle, notamment de la pièce rayée de 24, établie sous un blindage à la droite du cavalier, connue de toute la garnison sous le nom de Catherine, étaient au bois à faire du fascinage ; les officiers présents demandèrent à la hâte quelques hommes de bonne volonté pour les conduire aux pièces et remplacer momentanément les canonniers absents ; au premier appel les mobiles du Rhône affluèrent auprès des batteries. Ils servirent les pièces, sous le contrôle des officiers, avec un zèle et un sang-froid qui furent fort admirés par le commandant de l'artillerie, le capitaine de la Laurencie ; ce qui permit d'attendre, en ripostant aux coups de l'ennemi, le retour des canonniers.

Canon calibre 24 du siege de Belfort 1870-1871
Canon rayé de calibre 24, du même modèle ayant
servi au du siège de Belfort en 1870-1871.

    Ce bombardement, au lieu de nous effrayer, provoqua chez nous une folle gaîté : les lazzis pleuvaient en aussi grand nombre que les obus allemands ; les boutades, aussi plaisantes que railleuses, se croisaient au milieu des groupes ; la gaminerie lyonnaise paraissait affolée par ce nouvel incident. Cependant, comme le froid sévissait et qu'il ne faisait pas bon rester immobile, le nez en l'air, à compter les projectiles, mais que pourtant, semblables à des enfants, nous ne voulions rien perdre de la vue de ce spectacle tout nouveau pour nous, l'idée vint à quelques camarades postés sur une petite place, située à peu de distance de l'ancien martinet des Forges, de faire une partie de barres. La proposition fut acceptée avec enthousiasme et une folle partie s'organisa comme au collège, avec les rires, les courses, les gambades et les cris en usage dans ce jeu juvénile.

Jeu de barres St-Julien d'Angers, Division des grands
Jeu de barres St-Julien d'Angers, Division des Grands

    Tout à coup nous aperçûmes, à la crête de l'Arsot, un grand nombre de soldats allemands qui nous regardaient. On se demande encore ce que ces ennemis pouvaient bien penser de notre gaîté et de notre insouciance en face d'eux, dans le cercle de fer et de feu infranchissable au milieu duquel ils nous enserraient chaque jour davantage, et sous la pluie de bombes et d'obus que leurs batteries lançaient sur nos têtes !
    Mais les regards curieux des allemands ne nous gênaient en rien ; la partie de barres continuait, les rires et les cris redoublèrent ainsi que la gaîté pendant qu'une idée burlesque, mise aussitôt à exécution, germait dans la tête de quelques hommes de la septième compagnie.
    Les mobiles de cette compagnie logeaient en grande partie dans une maison abandonnée, située à gauche et un peu en contre-bas de la route de Belfort à Offemont, près des bâtiments ayant servi à l'exploitation d'une fonderie ; cette maison avait été baptisée par les occupants : fort de Vaise. Ce nom d'ailleurs s'étalait en gros caractères, au charbon, sur la muraille.
    Derrière cette maison avait été remisé un avant-train, qui devait servir, en temps ordinaire, au charroi des gros troncs d'arbres. Nos camarades Curbillon, Soullier, Fenouillot, Perraud et Namian attachèrent sur cet avant-train un vieux cornet de poêle hors d'usage et, à un moment donné, ils firent signe aux joueurs de barres qui vinrent s'atteler, avec force gestes et simulacre d'efforts, au timon de cette étrange machine et l'amenèrent au milieu de la route, où quelques instants avant ils se livraient à leurs joyeux ébats.
    L'avant-train, muni de son cornet de poêle, pouvait, à une certaine distance, ressembler à un canon monté. C’est sur cette ressemblance que comptaient nos jeunes mobiles. Quatre ou cinq d'entre eux, imitant autour de l'instrument le travail habituel des artilleurs, se mirent en devoir d'ajuster, de charger, de pointer la pièce et firent tant et si bien que les allemands groupés au sommet de l'Arsot, croyant avoir devant eux une réelle pièce d'artillerie et craignant de recevoir une décharge de mitraille, se sauvèrent en grande hâte, disparurent et ne se montrèrent plus à ce poste d'observation.
    Dire la joie folle des mobiles devant cette retraite est impossible : chants et gambades redoublèrent de plus belle, jusqu'au moment où le clairon annonça que l'heure de la soupe avait sonné. La gouaillerie lyonnaise avait ce jour-là mis les allemands en fuite.

                                      Joseph Berger.

    Je reviens un instant sur cet étonnant jeu de barres.

Jeu de Barres Journal de la jeunesse (1881)
Le jeu de barres. Extrait du Journal de la jeunesse ; nouveau recueil hebdomadaire illustré. v.1 (1881).

    Il semblait exister en France depuis au moins le XIIIe siècle, et serait l'héritier d'un jeu antique grec l'Ostracinde (Ostrachynda). Il a été fort populaire en France, même Napléon Ier y joua, mais finit par disparaitre. Je ne sais pas vers quelle date. On voit qu'en 1870 il est encore prisé chez les militaires, et durant la guerre 1914-1918, il servait toujours de distractions aux soldats. Mais dès 1889, on peut déjà lire dans l'Histoire des jouets et des jeux d'enfants, écrit par Edouard Fournier : "Le jeu des barres n'est pas moins déchu [que le jeu Collin-Maillart] ; on le met en oubli comme la guerre, dont on nous a tant de fois répété qu'il était l'image, et on ne lui tient compte ni de cette ressemblance, ni de ses autres titres de vieille noblesse."
    Le jeu semble avoir fini par être assimilé à un jeu de guerre, et peut-être chassé des cours d'école pour être remplacé par des jeux plus pacifiques, comme la balle aux prisonniers.
    Ce jeu n'ayant jamais connu de codification tel le football, les règles peuvent varier dans le temps et le lieu. Je vous en donne, découverts dans l'ouvrage Le Journal de la jeunesse ; nouveau recueil hebdomadaire illustré. v.1 publié en 1881 :

    "Tout terrain uni et battu, tel qu'allée de parc ou de jardin, pelouse ou clairière, peut servir de théâtre au jeu de barres. Il suffit qu'il ne s'y rencontre aucun obstacle susceptible d'exposer les joueurs à faire une chute en courant. Son choix fait, les joueurs se divisent en deux partis égaux en nombre, et ils marquent l'enceinte des deux camps, d'une façon exacte et visible, soit en traçant une raie sur la terre, soit en alignant des baguettes ou des branches de feuillage. L'espace qui sépare les camps mesure 50 à 60 mètres. A 2 mètres de la ligne d'enceinte, on trace une autre ligne, nommée sauvegarde, sur laquelle les joueurs du camp opposé viendront demander barre.
    Pour former les partis, deux joueurs de force égale tirent au sort à qui choisira le premier un compagnon parmi les autres joueurs. Quand le premier a choisi, le second en fait autant. Le premier prend un second compagnon, le second aussi, et ainsi de suite jusqu'à ce que tous les joueurs soient entrés dans l'une ou l'autre troupe. Les partis se rendent alors dans leur camp respectif. Celui à qui a échu par le sort le droit de demander barre, envoie son chef provoquer le camp ennemi. Celui-ci s'avance jusqu'à la sauvegarde de ce camp et, le jarret tendu, le bras en avant, il crie d'une voix forte : « Je demande barre contre un tel ? » L'antagoniste provoqué se présente aussitôt, frappe deux légers coups dans la main que lui tend le provocateur, et attend que celui-ci frappe le troisième ; le coup frappé, le provocateur s'enfuit à toutes jambes, et le provoqué le poursuit aussi vite qu'il le peut faire. Pour donner plus de vivacité au jeu, l'on peut supprimer ces préliminaires, et courir après le provocateur dès qu'il a demandé barre.
    Sitôt que le provoqué est sorti de son camp, un des coureurs du parti du provocateur vient au secours de celui-ci en courant sur son antagoniste. On dit alors qu'il a barre sur lui. Un deuxième coureur du camp défié sort à son tour, afin de poursuivre ce nouveau champion. Les combattants se poursuivent ainsi les uns les autres. La mêlée devient générale. Les coureurs se croisent en tous sens. Si l'un d'eux touche son adversaire, d'une voix retentissante, il s'écrie : « Pris! » A ce signal, les joueurs s'arrêtent. Le prisonnier, essoufflé et quelque peu penaud, se rend dans le camp ennemi. Son vainqueur le place à trois pas en avant de la ligne du camp, et l'infortuné est obligé de se tenir debout dans cet endroit, le bras tendu vers les siens attendant l'heure de sa délivrance. Pendant ce temps, la bataille s'engage de nouveau, et des compagnons d'infortune viennent souvent le rejoindre. Celui qui rentre dans un camp non seulement ne peut être saisi dans son enceinte, réputée asile inviolable, mais encore il a droit, lorsqu'il le quitte, de poursuivre tous ceux qui le poursuivaient d'abord,
Un joueur téméraire se risque-t-il trop en courant? on essaye de le couper dans sa course, c'est-à-dire de se mettre entre lui et le camp dont il est sorti. Cette situation donne barre au joueur qui la prend, sur tous ceux qui sont sortis depuis qu'il est sorti lui-même. lui.
    L'on peut jouer aux barres de deux façons différentes ; ou l'on rend les prisonniers après chaque coup, ou on les garde jusqu'à leur délivrance. Dans le premier cas, la partie finit dès qu'une troupe a atteint le nombre convenu de captures. Dans le second, la partie peut durer éternellement si les joueurs sont d'égale force, puisqu'un seul coureur peut délivrer d'un coup de main tous les prisonniers de son parti.
    Un vieil adage prétend « qu'il est moins difficile de faire des conquêtes que de les conserver ». Il s'applique fort bien au jeu de barres. Les prisonniers rangés sur une seule file et se tenant par la main, ne peuvent quitter leur prison que si quelqu'un de leur parti, arrivant à l'improviste, touche le premier d'entre eux avec la main sans se laisser prendre lui-même. Cette manœuvre offre de réelles difficultés, car le parti pendant vainqueur laisse toujours dans le camp un ou plusieurs joueurs chargés de garder ses prisonniers. Ces gardiens ont tous le droit de courir sur l'audacieux qui tente de délivrer ses compagnons. Si, par une fausse manoeuvre ou une ruse habile de leurs adversaires, tous les gardiens s'engagent imprudemment dans une campagne, l'ennemi profite de cette négligence, lance son meilleur coureur, et ils perdent en un clin d'ail plusieurs victoires. Cette méthode de garder les prisonniers offre, en hiver surtout, quelque danger, en ce qu'elle force les coureurs à rester immobiles après une course plus ou moins ardente.
    Aux barres forcées, on ne délivre point les prisonniers ; ils passent au fur et à mesure dans le camp qui les a pris, et deviennent les ennemis de leurs anciens compagnons. Le jeu cesse quand un des camps n'a plus de combattants. "

    Dans l'ouvrage les jeux et les récréations de la jeunesse,  Gaston Bonnefont explicite la variante militaire du jeu de barres en ces termes : "Dans le jeu de barres militaires, les deux camps, placés sur la même ligne, sont séparés par un terrain neutre. Il faut, dès lors, pour se rencontrer, faire de plus lointaines sorties que dans le jeu ordinaire. Les règles sont exactement les mêmes que celles exposées plus haut ; mais la partie est beaucoup plus intéressante et mouvementée que la partie simple, lorsqu'on dispose d'un bel emplacement et que les joueurs sont assez hardis et assez ardents pour faire de grandes campagnes."

    Et maintenant, à vous de jouer !

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