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Méli-Melo Belfort
23 août 2023

Le loup dans le Territoire de Belfort.

    Comme pour la loutre, le loup n'est pas encore réinstallé dans le Territoire de Belfort. Il est possible que des jeunes loups mâles en phase de dispersion passent dans la trouée de Belfort pour rejoindre les Vosges ou autres régions depuis le Jura, mais il n'y a pas de meutes présentes, ou de reproduction avérées.

    Maintenant, on peut se poser la question de savoir quand le loup a disparu du Territoire de Belfort, et se pencher sur sa présence passée au travers des témoignages que l'on peut trouver dans les anciens journaux locaux ou régionaux, voire les revues ou les livres.

    Pour commencer, on peut s'intéresser au dernier loup tué en France.
Rappelons d'abord, que la loi du 3 août 1882 relative à la destruction des loups met en place des primes d'abattage importantes dans le but d'obtenir l'éradication totale du loup en France. Dès lors le loup sera impitoyablement chassé, piégé, empoisonné jusqu'à sa complète disparition en ... , mais en quelle année finalement ?

Chasse au loup vers 1860, P
Chasse au loup vers 1860, P.Wurster sc. Berlin, collection Archives d'art et d'histoire.

    La dernière prime octroyée par l’État pour la destruction d’un loup adulte l'est par le préfet de Haute-Marne qui verse 50 francs à Fernand Cuny le 27 décembre 1928, pour avoir tué un loup de 45 kg sur la commune de Baudrecourt, lieu-dit "le chemin de Joinville" 9 jours auparavant. Apparemment cela a été fait sur le budget de la préfecture, puisque depuis 1923, pour raison d'économie budgétaire, l'état ne payait plus de prime sur son propre budget. Par la suite, rien n’empêcha les départements d'allouer eux-mêmes des primes pour destruction de loup.

    Difficile de savoir qu'elle a été réellement le dernier loup tué en France, car il n'est pas sur que l'espèce est vraiment jamais disparue de France. Ou en tout cas, des loups venus d'au-delà des frontières françaises ont pu continuer à se promener en France sporadiquement jusqu'à son retour officiel en 1992.
Parmi les derniers loups tués figure celui tiré en pleine deuxième guerre mondiale à Javerlhac-et-la-Chapelle-Saint-Robert en Dordogne, le 6 décembre 1940, par M. François Raymond, comme le relate le journal Sud-Ouest du 2 février 2021. Étonnement cette destruction n'a laissé aucune trace dans les archives officielles.
Autre loup abattu plus récemment celui de Vignieu dans l'Isère le 12 janvier 1954. A l'époque on a supposé qu'il avait pu venir des Carpates poussé par un hiver rigoureux. il serait possible de le prouver de nos jours en faisant une analyse génétique de sa dépouille qui se trouve à priori toujours à la mairie de Vigneu. On aurait pu faire de même avec le loup de Javerlhac, malheureusement sa peau gardé pendant longtemps ne nous est pas parvenu intact.

    D'une manière générale il serait fort utile de faire une étude génétique de tous les loups pouvant apparaitre dans les muséums français ou appartenant à des institutions et particuliers afin de vérifier à quelle lignée les loups français appartenaient. Est-ce qu'ils formaient une lignée à part, ou est ce qu'ils étaient liés à un groupe plus étendue ?
    Pour en revenir à l'affirmation que le loup aurait pu persister en France jusqu'à nos jours, c'est l'hypothèse qui est émise, sur cette page forte interessante, sur la présence supposée, fantasmée ou réelle du loup depuis sa disparition oficielle à sa réapparition officielle.

    Penchons nous maintenant sur l'existence et la disparition du loup dans le Territoire de Belfort.

    Il existe certainement des archives qui relatent la présence ancienne du loup dans notre département il y a plusieurs siècles, mais je ne les connais pas, je m'en tiendrai donc aux seuls témoignages des dernières observations de l'espèce.

    Je commence par la première mention retrouvée dans le Journal des chasseurs du 1er octobre 1839 :

    "HAUT-RHIN. - Depuis quelque temps de nombreuses bandes de loups se montrent dans les bois de Bessoncourt et de Fontaine.
Quoique la traque qui a été faite il y a quelques années ait détruit une sixaine de ces animaux, ils se sont multipliés depuis à un tel point que leur audace s'accroît journellement. Dernièrement un troupeau de moutons a été décimé de sept sujets qu'ils ont enlevés en un jour. Aussi les habitans de la première commune, justement désolés, ont-ils inventé plusieurs moyens de destruction, tels que fosses, lacets, etc., pour s'emparer de quelques unes de ces bêtes féroces ; mais soit imperfection des procédés mis en usage, soit finesse des loups, aucun n'a pu encore être pris. Il serait à désirer que l'on profitât de la saison favorable qui se présente pour détruire ces hôtes dangereux; autrement on sera exposé à déplorer des accidens plus graves par suite de la rigueur de l'hiver qui s'approche."

    Une deuxième mention dans la Chasse illustrée, journal des chasseurs et la vie à la campagne du 3 janvier 1874 :

    "Territoire de Belfort. — La lettre ci-dessous nous est envoyée de Beaucourt :
    Je viens vous faire part d’un fait qui peut intéresser les louvetiers qui se trouveraient dans la même situation que nous. Quelques-unes de nos forêts du canton de Delle recèlent plusieurs loups qui y sont si bien à demeure que le gibier a disparu presque complètement.
    Les habitants des villages voisins se plaignent vivement des déprédations de ces animaux, sollicitent le secours du lieutenant de louveterie, M. Jules Japy, mais ne se soucient nullement de fournir des traqueurs quand une battue est commandée.
    Renonçant donc aux battues, et le louvetier s’étant muni d’une autorisation, nous avons profité de la dernière neige pour essayer des amorces empoisonnées avec de la strychnine. Réussite complète. Après avoir appâté pendant quelque temps, en cinq jours nous avions empoisonné deux loups, trois louves dont une portait, et un renard.
    Nous attendons une nouvelle neige ou une forte gelée pour recommencer.

    Si des confrères désirent de plus amples renseignements sur la manière de procéder, nous sommes à leur service. — L. Albert Japy."

    Je continue avec une troisième mention dans le Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar paru en 1879, sans précision de date de l'observation dans un article sur les mammifères d'Alsace :

    "CANIS LUPUS. — Paraît chaque hiver dans le Territoire de Belfort. (M. C.); a disparu depuis plus de vingt ans des env. de Colmar où il fréquentait surtout le Kastenwald. Il semble exister une var. plus haute sur jambes et à museau pointu : M. Adam Eggerlé l'a observée jadis près de Colmar et j'en ai remarqué un ind. à Belfort."

    Je poursuis avec le journal le Petit-Comtois du 11 janvier 1885 :

    "Mercredi, une battue aux loups a eu lieu dans le bois de la Miotte. Une vingtaine de chasseurs y ont pris part.
    Une louve de forte taille a été tuée par M. D., capitaine au 35e de ligne.
    Un loup a été blessé."

    Puis le journal le Ralliement de Belfort du 14 juillet 1889 :

    "Les loups dans le Territoire.
D’après les renseignements que nous avons recueillis, des loups, chassés de leurs bois par la neige, auraient fait apparition sur divers points du Territoire.
    Dans le canton de Delle, notamment, ou a vu rôder nombre de ces carnassiers dans les environs des lieux habités. A Grosne,
nous assure-l-on, des loups auraient dévoré cinq chiens.
    Il y a de belles primes à gagner pour les tueurs de loups."

Loup par Friedich Specht (1884)
Le loup, tiré de l'ouvrage : Les Mammifères par Carl Vogt ;
Illustration par Frédéric Specht. (1884)

    Puis le journal du Petit-Comtois du 25 décembre 1890 :

    "Bourogne. — Les loups ont fait leur apparition. Ils viennent faire des visites nocturnes jusqu'au centre du village. Les sangliers pullulent. A quand une battue sérieuse ? Chasser du gros gibier est chose fort agréable aux chasseurs; le détruire serait encore chose plus agréable aux cultivateurs."

    Puis le journal du Petit-Comtois du 23 novembre 1893 :

    "Giromagny.— Avec la neige se montrent les loups. Avant-hier, trois jeunes gens rencontrèrent un de ces animaux tout, près de
Giromagny, sur la route de Vescemont.
    L’un d’eux tira un coup de revolver dans la direction de la bête, qui prit la fuite du côté de Rougegoutte"

    A noter que dans le Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar de 1894 est publié un catalogue des animaux exposés dans le Musée d'histoire naturelle de Colmar. Il est y est listé 2 loups : 1 mâle provenant de Belfort et une femelle provenant de Delle, malheureusement, sans dates de capture. Si les spécimens existent toujours, il serait interessant de faire ce que je disais plus haut, c'est-à-dire une analyse génétique pour voir de quelle lignée ils provenaient.

    Plusieurs observations en 1901 près de Giromagny :

    Journal du Petit-Comtois du 14 février 1901 :

    "On signale la présence de plusieurs loups dans les environs de Giromagny et d’Auxelles."

    Journal du Petit-Comtois du 26 février 1901 :

    "Toujours les loups.— On signale encore des loups autour du fort de Giromagny, et la compagnie du 42e qui l’occupe fait chaque nuit des factions et des rondes, avec l’espoir de pouvoir atteindre ces animaux.
    Ces jours derniers, un militaire rentrait de permission, vers minuit, quand, dans les champs, à 500 mètres environ des dernières maisons de Giromagny, il s’aperçut qu’il était suivi à peu de distance par deux loups, qui s’arrêtaient quand il s’arrêtait lui-même, et se remettaient en marche quand il continuait sa route.
    N’étant pas armé, et sachant que les loups s’attaquent rarement à un homme debout, et ne le suivent qu’avec l’espoir de se précipiter sur lui a la moindre chute, le soldat poursuivi s’appliqua à se maintenir debout, chose assez difficile dans la neige.
    Les deux loups le suivirent jusqu’à une petite distance, du fort et disparurent au moment où le militaire allait avoir de l’aide pour les poursuivre à son tour. On a pu le lendemain matin même suivre les traces de pas des loups qui ont regagné la forêt d’Auxelles.
    Depuis cette aventure, il a été ordonné aux hommes de la compagnie casernée au fort,qui descendent le soir à Giromagny, de toujours se grouper par trois pour rentrer après 8 heures, un homme seul étant exposé dans les neiges à des accidents ou à des rencontres qui pourraient facilement devenir dangereuses."

    Puis le journal le Ralliement de Belfort du 17 février 1906 :

    "Valdoie. — Un loup. — Dimanche, vers 9 h. 1/2 du soir, un habitant a pu apercevoir très distinctement un loup fouillant des détritus à proximité d’une maison au milieu du village. L’animal s’est d'ailleurs enfui rapidement et lundi matin on pouvait relever très facilement les traces de ce malfaiteur qui, après avoir traversé les champs, entrait dans la petite forêt du monceau pour sortir près de la Savoureuse, qu’il a d’ailleurs passée à la nage, se dirigeant dans la forêt du Salbert."

Puis le journal le Ralliement de Belfort du 5 janvier 1907 :

    Belfort
   
"Au loup ! — Depuis deux jours, on remarque sur la crête des fortifications qui vont du Château à la route de Rethenans, la silhouette d'un animal ressemblant à un gros chien ou à un loup. La bête circule dans tous les sens, puis s'arrête parfois les oreilles pointées et la gueule ouverte, regardant dans toutes les directions.

    Puis le journal de la Dépêche républicaine de Franche-Comté du 19 juillet 1908 :

    Faverois
    Les loups. — On signale la présence de loups dans les environs, plusieurs de ces dangereux carnassiers habitent les bois situés entre Delle et Réchésy.
    M. Gauthier, fermier à Saint-André, commune de Florimont, vient d'être victime de ces malfaisants carnassiers ; deux moutons lui
ont été pris à la ferme.
    Il faut espérer que les chasseurs qui ne manquent pas au pays, se signaleront bientôt en décombrant nos forêts de ces hôtes incommodes. 

    Alors que je pensais avoir fait le tour des recherches possibles sur le sujet via internet, une recherche complémentaire m'a fait tombé sur un article de Jean Devantoy paru dans le bulletin de la Société Belfortaine d'Emulation de 1950-1951, mis en ligne très récemment, et consacré aux Mammifères disparus de la Trouée de Belfort durant l'époque historique. Il consacre un chapitre très intéressant sur le loup, que je vous donne en intégralité ici :

"LE LOUP (Canis lupus L.)

    Voici un animal dont le souvenir est encore vivant et pour lequel nous ne manquons pas de preuves de son existence dans la Trouée de Belfort. Il est question de lui assez souvent dans les textes historiques car, autrefois, il était un véritable fléau qui dut même pulluler pendant certaines périodes. Déjà signalé dans la région aux temps préhistoriques, il s'y est maintenu durant tous les siècles de l'histoire, pour n'en disparaître que depuis quelques années.  

    Datant de l'époque mérovingienne, nous connaissons des dents de loup formant une double bordure autour d'une fibule de bronze provenant des fouilles du cimetière barbare de Bourogne. D'autres dents de loup ont été aussi signalées dans les sépultures du même cimetière.

    Aux dires du moine Jonas, lorsque Saint Colomban, fondateur du monastère de Luxeuil au VIe siècle, vint s'établir dans «la vaste forêt des Vosges», «les solitudes profondes» en étaient peuplées de loups.

    Cette espèce n'a pas cessé de pulluler durant le Moyen Age et il a fallu sans doute lui livrer une lutte incessante. Ainsi, à l'occasion du conflit qui, en 1567, opposa les Rosemontois à la régence d'Ensisheim au sujet du droit de chasse dans le Rosemont, nous apprenons que l'ancien urbaire prévoyait des battues pour la destruction des loups et autres animaux malfaisants.

    Ces battues n'étaient sans doute pas inutiles quand on sait qu'à la fin de l'année 1510, de nombreux loups apparurent en Alsace, à tel point qu'il fut très dangereux de voyager, Les années 1575, 1590, 1653, 1695, 1696, 1700 sont citées dans les annales du Pays de Montbéliard pour les ravages des loups dans les campagnes.

    A Beaucourt, un petit bois servait de retraite aux loups qui causaient grand dommage aux gens de ce village; ceux-ci obtinrent, le
7 février 1575, l'autorisation de défricher ce repaire.

    Ces animaux répandirent une désolation exceptionnelle dans les environs de Montbéliard et de Belfort au cours des années 1575 et 1590.

    Durant cette dernière année, ils parurent atteints de la rage et Jean Bauhin a laissé un petit livre consacré à ce sujet, publié à Montbéliard en 1591 et où se trouvent racontés les malheurs causés par une louve enragée.

    Voici l'essentiel de ce récit :

    «....L'an 1590, le 25 juin, en un jeudy matin, sur les neuf heures, en un village nommé Bourongne, les filles estant allées par ensemble pour cueillir des cerises au bois, entre les fins de Meru et Bourongne : un Loup surprent Marguerite, fille de feu François Beullesse, la mordit au visage, prés de la mâchoire, contre la bouche, la défigura tellement, qu'on luy voyoit toutes les dents. Le Loup l'ayant laissée, vint trouver proche de Bourongne, Claude, fille de Lienard Guey qui descendoit de dessus un cerisier, la saisit par derrière en la teste, pres des oreilles. Elle tenant un crochet de bois, comme un baston, lui fourra en la gueulle,
jusques dedans le gosier; elle fut aussi mordue au bras.»

    De Bourogne, le loup alla d'abord à Trétudans où il mordit en lui arrachant un œil et le bout du nez, le jeune Claudot, âgé de 13 à 14 ans, qui mourut 17 jours après; ensuite, à Danjoutin, il se lança sur un enfant de 7 ans, Perrin Noirot, en train de jouer et lui fit deux plaies affreuses dont il succomba le troisième jour.

    De Danjoutin, la bête passa derrière le château de Belfort, traversa le grand chemin qui conduisait à Roppe, au delà des vignes, et entra en un chemin dit «la vie de la Chambratte». La, elle attaqua Jeanne, surnommée la Trouvée de Belfort, fille perdue, qui était assise sous un cerisier, et, la saisissant au visage, elle lui fit six plaies des deux côtés.

    Continuant sa course, le loup arriva à Vétrigne, y mordit deux personnes, puis à la Charme où une femme reçut une profonde blessure derrière la tête. A Etueffont, le nommé Claudot Peren fut gravement blessé au doigt ; il succomba au bout de 59 jours ; dans le même village deux autres personnes furent également atteintes.

    La bête enragée revint ensuite sur ses pas et se dirigea par Roppe sur Vézelois où le nommé Richard Neurat qui sortait de chez lui, un peu court vêtu, fut assailli par le loup furieux qui lui fit des plaies hideuses au visage et au bras.

    De Vézelois, le loup traversa le village de Meroux où il mordit encore quelques habitants mais, au moment où il débouchait à Sévenans, il rencontra une troupe de faucheurs qui, aidés de leurs chiens, réussirent à l'exterminer à coups de faulx

    Bauhin achève ainsi son enquête sur les exploits du terrible animal :

    «Etant tué, on trouva que c'était une vieille Louve rouge, à laquelle les dents estoient usées, qui avoit les flancs et queue pelés, n'ayant rien dans l'estomac mais du lait dedans les tetins : la peau fut portée et veüe à Montbéliard.

    Voila l'histoire estrange de la Louve qui a blessé et mordu douze personnes en 24 heures, en divers lieu et villages ayant fait en peu de temps grand chemin et dommage, car des sus-dits, neuf en sont morts avec grande misere.»

    Au commencement du XVIIe siècle, à Belfort, la chasse des animaux nuisibles étant permise à tous, il fallait, pour un loup tué, apporter au château la tête et les quatre pattes (*). En 1613, des loups pénétrèrent en grand nombre dans huit villages de la vallée et commirent beaucoup de ravages ; les officiers de la seigneurie organisèrent des battues pour les détruire.

(*) On peut se demander cependant s'il n'y a pas eu erreur de transcription de la part de Bardy, de qui vient ce renseignement et s'il ne s'agirait pas plutôt de l'ours, ce qul se comprendrait mieux.

    Vers la même époque, dans le Pays de Montbéliard, la chasse au loup cessa d'être pour les princes un divertissement et devint un devoir d'humanité. Les princes de Montbéliard traquèrent à outrance ces dangereux animaux. Ainsi, de 1617 au 10 janvier 1624, Louis-Frédéric de Wurtemberg en tua cent huit de sa propre main, sans compter ceux qui tombèrent sous les coups de ses forestiers et des chasseurs qui tenaient compagnie.

    Il en fut aussi tué à Delle en 1632 et 1633 puisque les comptes de cette ville indiquent des sommes données alors à des porteurs de loups qui allaient, sans doute de maison en maison, présenter leur victime comme cela se faisait encore avant 1900.

    La Guerre de Trente Ans, avec ses désordres et ses désolations, fut sans doute marquée par une relâche dans la lutte contre les loups et il est permis de supposer que cela se traduisit ici par les mêmes effets qu'en Lorraine où eut lieu une énorme multiplication de ces animaux

    Les froids excessifs du mois de janvier 1651 firent se répandre des bandes de loups sur tout le pays d'Alsace et dans les contrées avoisinantes. En 1653 encore, il y en avait une multitude dans le Pays de Montbéliard. Dans les environs de cette ville, plusieurs enfants devinrent les victimes de leur férocité en 1695, de même qu'en 1696, année où un petit garçon de Lougres fut dévoré.

    Le XVIIIe siècle vit également les méfaits des loups et si nous n'avons rien trouvé concernant le Trouée de Belfort pendant cette période, elle est néanmoins marquée par de nombreux incidents, tant en Alsace qu'en Franche-Comté.

    Il semble que durant la Révolution les loups se multiplièrent d'une manière très sensible dans nos régions. Pour favoriser leur destruction, un arrêté du 6 ventôse, an X, du préfet du département du Haut-Rhin d'alors, accordait une prime de neuf francs pour chaque tête de louve pleine, de six francs pour chaque tête de loup et de trois francs pour chaque tête de louveteau; lorsqu'un loup se jetait sur des hommes ou enfants, celui qui le tuait recevait une prime extraordinaire ; les maires devaient encourager la destruction des loups, dresser procès-verbal de leur mort et l'adresser au préfet avec la tête de l'animal.

    Au cours du XIXe siècle, le loup ne fut pas rare dans la Trouée de Belfort. Citons seulement quelques faits qui témoignent de sa présence ici il y a peu d'années.

    Au cours de l'automne de l'an 1813, l'abbé Rebillet, curé de Courtelevant, fut attaqué et mordu en forêt par un loup enragé ; la bête fut tuée par un homme de Courcelles, mais sa victime mourut de la rage après d'atroces souffrances.

    Un combat singulier fut celui que livra victorieusement à un loup, le 27 juillet 1838, à Bessoncourt, une vache entre les jambes de laquelle s'était réfugié le jeune pâtre.

    A cette date, le pays semble avoir été infesté de loups bien que, quelques années auparavant, une traque en ait détruits une demi-douzaine. Le 17 mai 1839, l'un d'eux fut tué dans la forêt de l'Arsot, près de Belfort, tandis que six autres qui l'accompagnaient, prirent la fuite. En décembre 1839, sept moutons furent enlevés en un seul jour à un trou peau de Bessoncourt tandis que des loups étaient signalés dans les bois de Fontaine mais la traque organisée au milieu du mois, ne donna aucun résultat.

    Le 24 mai 1840, un enfant aperçut un gros loup dans les bois près de Frais, du côté du Moulin des Bois. Une battue fut organisée et le lendemain, à l'endroit indiqué, on captura huit louveteaux qui furent amenés à la Sous-Préfecture de Belfort et pour lesquels les traqueurs reçurent une prime de un franc par tête. En décembre de la même année, un loup poursuivit un chien jusque dans une maison de Chaux. La jeune fille de la maison ayant poussé des cris d'épouvante, l'animal s'enfuit et échappa aux chasseurs lancés sur ses traces.

    Vers le milieu du siècle, des loups furent rencontrés dans la forêt entre Rechotte et Chèvremont et dans ce dernier village, l'un d'eux, quelques années plus tard, vint en plein hiver s'emparer d'un chien qui s'était réfugié sur le rebord de la fenêtre de ses maîtres.

    Pourtant, le loup était assez rare dans l'arrondissement de Montbéliard d'après ce qu'indique Sahler en 1864.

    Il n'en était pas de même dans le Territoire de Belfort où, encore vers 1880, les loups paraissaient chaque hiver. Le musée de Belfort s'enrichit en 1879 d'un loup de grande taille, tué à Fontaine, et c'est probablement vers la même date que le musée de Colmar fit l'acquisition d'un loup mâle de Belfort et d'une louve de Delle.

    Au commencement de septembre 1885, les loups firent apparition dans la Haute-Alsace ; le 6 septembre, l'un d'eux aurait été écrasé par un train entre Montreux et Dannemarie.

    Citons encore l'histoire arrivée probablement vers cette époque à un jeune homme de Suarce qui allait à la veillée dans une ferme de Normanvillars. Au delà de l'étang de la Ville, il fit la rencontre d'un gros loup qui sauta sur lui, le saisit à la nuque, le mordit cruellement mais le Suarçais ne perdant pas sa présence d'esprit enfonça son couteau de poche dans le corps du loup, lui ouvrit le ventre et la bête lâcha prise pour aller expirer non loin de là.

    Autre aventure, celle du violoneux du même village qui, s'en revenant de Grosne par une froide nuit d'hiver, à une heure tardive, tomba dans une fosse profonde, établie pour lel piégeage et où un loup es trouvait déjà pris. C'est en produisant une musique endiablée avec son violon qu'il réussit à effaroucher le loup et à s'en préserver. Au petit jour, les piégeurs vinrent délivrer le violoneux et assommer le loup.

    Dans un article récent, auquel nous avons emprunté quelques-uns des faits cités ci-dessus, M. .J Joachim nous rappelle que les loups étaient encore fréquents dans le sud du Territoire vers les années 1880 et suivantes. «Il n'était pas rare, nous dit-il, au temps de ma lointaine enfance, qu'on signalât la présence de loups aux environs de Delle, surtout dans les grands bois de Normanvillars, entre Faverois, Suarce et Boron. Ils s'aventuraient, principalement en hiver, jusqu'au voisinage des maisons...»

    Le dernier loup tué sur le Territoire de Belfort l'aurait été en 1901 et il n'en a plus été tué également dans le Doubs depuis cette date bien que la Haute-Saône ait encore été fréquentée par les loups au début de ce siècle puisque, de 1906 à 1918, il en fut détruit dans l'arrondissement de Vesoul. Il en fut encore tirés trois individus dans les Vosges en 1919. Enfin, des loups ont encore été vus en 1932 et 1933 dans l'arrondissement de Vesoul, aux alentours de Combeaufontaine, mais il ne paraît plus, depuis, en être question en Franche-Comté. Le loup a donc disparu de la région.

    La longue présence de cet animal dans la région est confirmée par les noms de nombreux lieux-dits. Citons-en quelques-uns : les Prés-le-Loup à Chaux, Lutran, Sermamagny ; les Champs-le-Loup à Morvillars et Reppe ; le Champ-la-Louve à La Madeleine et Lutran ; la Ragie-au-Loup à Chèvremont et Vézelois ; L'Etang au Loup à Normanvillars ; le Trou du Loup à Giromagny, La Madeleine, Lutran ; le Trou au Loup à Novillard ; la Fontaine au Loup à Giromagny ; la Pierre du Loup à Vescemont ; la Queue au Loup, pointe de territoire suisse entre Delle et Lebetain ; le Wolfloch à Sentheim

    Jadis, pour détruire les loups, les communautés établirent sur leurs territoires des louvières ou fosses à prendre les loups, de sorte que la dénomination de Louvière se retrouve dans de nombreuses localités comme Boncourt, Buc, Delle, Echavanne, Meroux, Riervescemont, Saint-Dizier, Trétudans, Vescemont et la Louvièse à Vézelois."


    Cet article permet d'apporter des témoignages antérieurs de plusieurs siècles à 1839, date la plus ancienne que j'avais pu trouver. Il nous indique l'entrée, en 1879, dans les collections du Musée de Belfort d'un loup tué à Fontaine ; existe-t'il toujours ? Il est émis l'hypothèse que les loups, dont j'ai parlé plus haut, présents dans les collections du musée d'histoire naturelle de Colmar auraient été tués à la même époque.
Je m'aperçois, après une recherche complémentaire, que le Bulletin de la Société d'histoire naturelle de Colmar de 1867-1868 donne les informations concernant le loup de Delle :

    "M. COURTOT, maire de Delle, — a fait parvenir au Musée un loup mâle tué le 10 avril 1868 par le sieur Valentin, journalier à Joncherey, près Delle."

L'auteur pense que le dernier loup du Territoire de Belfort a été tué en 1901, mais n'en cite pas la source. Il faudrait consulter les archives de la Préfecture pour voir si il existe une trace d'une prime versée à l'occasion de l'abattage d'un loup en 1901, voire à une autre date, avant ou après. A ce propos, le 26 septembre 2011, le journal l'Est Républicain, a publié un article sur un procès-verbal de destruction d'un loup daté de 1854, trouvé aux archives départementales de Belfort, il est à lire ici. C'est ce type de document qui est à découvrir pour le loup prétendument tué en 1901.

L'auteur donne une date extrême de la présence du loup en Franche-Comté vers 1933 en Haute-Saône. Je n'avais pas trouvé mieux, avec ce témoignage de 1929, concernant le Doubs et paru dans le journal le Petit-Comtois du 15 février 1929 :

    "Un habitant de Chissey, M. Paul Demontron, exploitant vue ferme en bordure de la forêt de Chaux, déclare avoir vu et guetté, pendant plusieurs heures, deux loups qui rôdaient au tour de son établissement. II n’a pu trouver l’occasion de les abattre."

    Pour les départements limitrophes de la Franche-Comté, un témoignage de 1933 dans le Petit-Comtois du 18 décembre 1933 :

    "Des loups sont signalés en Haute-Marne
CHAUMONT. 17 Décembre. — Par suite des grands froids, on signale la présence de loups dans la région de Saint-Dizïer.

Deux loups ont été aperçus aux Montants ; des battues sont organisées."

    A noter, qu'en 1901 l'année du dernier loup tué dans le Territoire de Belfort, on a encore tué 16 loups dans le Doubs et 16 dans les Vosges, d'après une statistique officielle du ministère de l'agriculture publiée dans le Chenil, journal des chasseurs et des éleveurs du 21 août 1902

    Dans le tiré-à-part intitulé Le loup commun, Canis lupus écrit par Raymond Rollinat et extrait de la Revue d'Histoire Naturelle de 1929 publié par la Société Nationale d'Acclimatation de France, on a confirmation de certaines informations déjà données, plus d'autres informations nouvelles pour la Franche-Comté :

    "Vosges. — En 1918, un Loup est tué le 18 août et Louve le lendemain, dans l'arrondissement de Neufchâteau. Puis furent tués, en 1919 : un Loup, le 19 janvier ; une Louve pleine, le 4 mars, et un Louveteau, le 18 mai, aussi dans l'arrondissement de Neufchâteau.

    Haute-Saône. — M. le Conservateur des Eaux et Forêts de la Haute-Saône et du Territoire de Belfort m'a informé qu'en 1906, 2 Loups et 2 Louves ont été abattus dans l'arrondissement de Vesoul ; qu'en 1907, 3 Loups ont été tués dans le même arrondissement ; qu'un Loup fut tué en 1908, également dans l'arrondissement de Vesoul ; quelques Louveteaux auraient été détruits de 1909 à 1918, mais que depuis cette époque il n'a plus été question de Loups.

    Doubs. — En 1901, 16 Louveteaux ont été pris, principalement aux environs de Besançon ; cette même année, un Loup était tué sur le Territoire de Belfort ; 2 louveteaux furent détruits à Marchaux, dans la forêt de la Grand' Côte.

    Jura. — Aucun Loup n'a été déclaré à la préfecture depuis l'année 1893, pendant laquelle un animal de cette espèce fut tué le 24 janvier. De renseignements fournis à la préfecture par l'administration des Eaux et Forêts, il apparaît que des Loups ont été aperçus durant la dernière guerre dans l'arrondissement de Dôle, sur les confins de la forêt de Chaux."

    Dans la revue la Nature, du deuxième semestre 1906, Victor Turquan écrit un article sur l'extinction des loups en France, où il publie une carte où apparait le nombre de loups tués en 20 ans de 1883 à 1902,

Carte nombre de loups tués en France depuis 1883

 

Carte nombre de loups tués en France depuis 1883. Revue la Nature, 2 sem. 1906.
Bibliothèque numérique en histoire des sciences et des techniques

ainsi qu'un récapitulatif sous forme de tableau.

Tableau destruction des loups depuis 20 ans par département
Tableau destruction des loups depuis 20 ans par département. Revue la Nature, 2 sem. 1906.
Bibliothèque numérique en histoire des sciences et des techniques.

    La carte permet de visualiser facilement la densité de loups tués suivant les départements. L'auteur signale que pour l'Est de la France les loups proviendraient essentiellement du Luxembourg, de l'Alsace [alors annexée par l'Allemagne] et de l'Allemagne.

    Le tableau montre que 11 loups ont été tués dans le Territoire de Belfort, entre 1883 et 1902. Les statistiques détaillés officielles du ministère de l'agriculture, doivent pour l'année 1901 donner 1 individu abattu pour le Territoire de Belfort, elles restent à être retrouver.

    En conclusion, dans le Territoire de Belfort, le dernier loup officiellement tué l'a été, semble-t'il, en 1901, et, à conditions qu'il n'y ait pas eu de confusions avec des chiens errants type chien-loup, le dernier observé l'aurait été en 1908 près de Delle.

    Officiellement, le loup est revenu en France, et non pas été réintroduit comme certains tentent de nous faire accroire, en 1992 depuis l'Italie. Il a peut-être été aperçu pour la première fois en 2014 dans le Territoire de Belfort comme nous le rappelle cet article de l'Est Républicain du 23 juillet 2014.

Loup Fontaine ER 23-07-2014
Un loup aperçu à Fontaine. Est Républicain du 23 juillet 2014.

    A noter que dans cet article, on parle du projet d'un ouvrage sur la présence historique et actuelle du loup dans le Territoire de Belfort avec André Lardier (ou plutôt Larger ?). Apparemment, ce projet n'a pas encore abouti. Espérons qu'il se ferra un jour, cela permettra d'apporter beaucoup plus d'informations que ce que j'ai pu en trouver via de simples recherches sur internet.

    Mise à jour du 20 octobre 2023.

    Je viens de retrouver une mention de la présence du loup dans le Territoire de Belfort, plus ancienne que celle du Journal des chasseurs du 1er octobre 1839, dans le Journal de Belfort et du Haut-Rhin du 3 juin 1836 :

    "Une louve, pleine selon les uns, a été tuée par le garde-forestier de Bessoncourt, et amenée à la sous-préfecture de Belfort. Ce garde dit-on, après avoir entamé jeudi, l'a trouvé samedi crevée dans les bois. elle parait être de l'âge de deux ans, une de celles que nous n'avons pas traquées l'hiver dernier. Une nichée de louveteaux a aussi été découverte dans la forêt dit de Narceau, située entre Offemont et le Valdoie. C'est le flairer d'un chien qui a surpris leur fort au milieu d'un fourré. Ce hasard, qu'en savons-nous ? empêchera peut-être que plus d'un garçon de la Forge, se rendant à l'école primaire d'Offemont, ne soit dévoré l'hiver prochain. Le hasard et les chasseurs font beaucoup en ce monde."

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